Beihdja Rahal : Une voie, un chant, une mission  
     
     
 

L'actualité de Beihdja Rahal est toujours attendue. Le nom de cette estimée interprète de la musique andalouse est, en effet, devenu synonyme de qualité, de recherche et de pédagogie. Elle vient de signer un ouvrage en collaboration avec Saadane Benbabaali, intitulé La plume, la voix et le plectre, poèmes et chants d'Andalousie.

Dans le cénacle de la musique classique andalouse, l'arrivée de Beihdja Rahal a été d'un apport fructueux. En s'imposant d'abord sur la scène musicale comme interprète à part entière, passionnée ensuite par son art au point d'effectuer des recherches pour enrichir les noubas actuelles de textes supplémentaires et de s'imprégner de l'esprit de l'époque qui a vu naître cette musique savante. Cela ne s'est pas fait sans bousculer un milieu rétif au changement.

On se souvient des sourires narquois et commentaires sceptiques qui ont accompagné, en 1995, l'annonce qu'elle a faite d'enregistrer les 12 noubas conservées que compte le patrimoine andalou algérien dans sa version sanaâ (école d'Alger). Pari a été fait, pari a été tenu et admirablement ! Personne aujourd'hui ne songe à le contester, car Beihdja Rahal a réussi, grâce à la concrétisation de ce projet, à conquérir un public certes connaisseur, mais elle a aussi réalisé la prouesse de convertir à l'andalou classique des milliers de profanes, dont des jeunes ! Ce n'était pourtant pas gagné.

Il faut dire que le challenge était de taille : pareille initiative n'avait jamais été conduite par un interprète de l'andalou, a fortiori par une femme, la gent féminine étant habituellement cantonnée dans le genre haouzi ou âroubi, qui emprunte la mélodie à la nouba, mais dont le texte poétique utilise le dialecte populaire. Quand exceptionnellement des chanteuses se sont enhardies sur le registre de la nouba, c'était juste pour en interpréter quelques morceaux.

Introduire une dynamique certes, mais sans pour autant transgresser les règles séculaires qui régentent cette musique. « Je travaille dans la sauvegarde des noubas, mais je ne prends pas de libertés les concernant. C'est une musique savante comportant des normes et des codes stricts à suivre. Je n'introduis pas d'innovation, je travaille à les préserver telles qu'elles sont », précise Beihdja Rahal.

Sa ténacité a payé : la sortie régulière en CD des noubas depuis 1995, jusqu'à totaliser les 12 restantes du patrimoine national, a contribué à rendre accessible la musique classique algérienne à un public jusque-là non connaisseur, voire non intéressé : « C'est une musique qui ne tolère pas la médiocrité et sans la quête de cette qualité, on ne réussit pas à en transmettre le goût au grand public. » Mais surtout, la grande surprise provient des jeunes mélomanes qui, au travers des mails que Beihdja Rahal reçoit, se déclarent des fans accomplis. La qualité de son travail a eu raison de toutes les résistances…

Beihdja perçoit à présent une attente de la part de son public. Elle demeure à son écoute et fait sienne sa curiosité vis-à-vis de la musique andalouse, ainsi que le désir qu'il exprime d'en maîtriser les caractéristiques. Le texte poétique en est une, il exige un travail pédagogique à part entière. C'est ce qui justifie la publication de La plume, la voix et le plectre, poèmes et chants d'Andalousie. Au fil des recherches, les textes qu'elle chante sortent de l'anonymat et se révèlent pour certains l'œuvre de poétesses. Poèmes qui chantent l'amour, la sensualité, le savoir-vivre et qui reflètent le raffinement d'une société andalouse au fait de son développement civilisationnel.

Beihdja Rahal consacre alors en avril 2007 un album Chaâriyate (poésiades), qui remet en valeur la poésie féminine à travers trois poéteses, Oum Al Ala Bint Youssef Al Hijariya, Oum Al Hana Bint Abdel Haq et Wallada Bint Al Moustakfi, cette dernière était cotemporaine du grand poète Ibn Zeydoun. Ce travail de prospection et de traduction, elle le doit à un collaborateur de valeur, Saadane Benbabaali, qui est professeur de littérature arabe à Paris III et spécialiste du mouwachah andalou. Ensemble, ils sigent la réalisation de l'ouvrage pédagogique La plume, la voix et le plectre, poèmes et chants d'Andalousie.

Saadane Benbabaali est agrégé d'arabe et spécialiste de la littérature arabo-andalouse. Il a soutenu en 1987 un doctorat sur l'art du tawshih à Paris III (Sorbonne Nouvelle). Maître de conférences à Paris III, il est l'auteur de nombreux articles sur la littérature arabe et andalouse médiévale parmi lesquels « Les poètes soufis et l'art du tawshih » et « Images, symboles et métaphores dans les muwachahat d'Ibn ‘Arabi ».

 

Samia Khorsi
"TASSILI MAGAZINE" revue de bord Air Algérie, No 57, mars-avril 2009

 

 

Repères pour le chant andalou

Dans cet ouvrage, une présentation générale du mouwashah et de la nouba, de la rencontre d'une musique et d'une poésie, leur naissance dans un contexte andalou particulier sous le règne de Abderrahmane II au Ixe siècle, qui donna au musicien Zyrieb toute latitude de développer son art, loin des contraintes connues jusqu'alors à Bagdad. C'est à la fin du Xe siècle qu'est apparue la poésie strophique, le mouwashah, composée dés le départ pour être chantée, la qacida classique n'intervenant que dans des improvisations vocales appelées mawwal.

Une recherche historique détaillée expose y compris les aspects non résolus du mouwashah quant à ses origines, du fait de son éloignement avéré des conventions poétiques arabes. L'art du mouwashah a évolué à travers le temps, résistant aux réticences et à la censure du rigorisme, s'adaptant aux élans mystiques du soufisme en abordant les thèmes spirituels et l'amour de Dieu.

Le système musical étant établi par Zyrieb, la nouba a malheureusement connu des déperditions importantes durant l'exil forcé des andalous sur les rivages maghrébins, après la chute de Grenade. La perte de la moitié des noubas a suscité chez les héritiers de cet art, pendant des siècles, une attitude de préservation excluant toute innovation. Ce qui a permis la conservation de ce trésor musical inestimable.

Très pédagogique, ce présent ouvrage poursuit son enseignement sur la nouba andalouse, établit ses différentes phases musicales, de même qu'il propose au lecteur les sources anthologiques qui existent sur ce sujet. Enfin, un chapitre est consacré aux poèmes. Rappelons que cet ouvrage est présenté dans les deux langues, arabe et française.

 

"La Plume, la Voix et le Plectre" Poèmes et chants d'Andalousie
de Beihdja Rahal et Saadane Benbabaali
paru aux éditions "Barzakh", déc 2008