Beihdja Rahal ou l'hommage appuyé à cheikh Hasnaoui 
     
     
 

Elle profitera d'un concert à l'île de la Réunion pour se lancer à la recherche de cheikh Hasnaoui.

Alerté par un de ses amis, le chantre de la chanson kabyle l'invita chez lui et découvrit, par la même occasion, une valeur sûre de la chanson traditionnelle. Que dire alors de ses grands yeux qui, pourtant, ne sont pas la coupe ou le narcisse dans lesquels le visage de l'amant se reflète, mais un regard qui voit, un regard qui se place, se mesure à l'autre par ce qu'il sait ? Le regard de cette créature à la denture d'ivoire et à la bouche enjôleuse parle, car voir et savoir expriment l'intelligence, celle de Jazîyâ, l'ancêtre mythique, ou de Hizîya, qui maîtrisent aussi le verbe.

Bien qu'elle ne s'en proclame pas, Beihdja Rahal est quelque part une mystique. Surtout lorsqu'elle ne se laisse pas impressionner par la caméra qui, de son point de vue, n'est là que pour filmer l'âme. Tout en paraissant s'être trouvée, elle ne cesse de se chercher. Cette femme à l'allure de mauresque est pétrie d'angoisses, de contradictions qu'elle s'efforce de gérer. Donné pour mort par les uns, porté disparu par les autres, cheikh Hasnaoui était toujours vivant au moment où Beihdja Rahal foula le sol de l'Île de la Réunion. Leur rencontre la bouleversa tout en la comblant d'aise. Elle en garde des souvenirs impérissables.

Le grand chantre de la chanson populaire algérienne l'avait impressionnée tant par sa gentillesse, sa disponibilité, son affabilité que par sa modestie et une sorte de fatalité qui en disait long sur sa nostalgie, s'agissant d'un pays qui lui tenait à cœur, son propre pays. Un espace géographique où des commis de l'idéologie dominante, affairés dans une sorte de civilisation du vide, dressaient un nécrologe de toutes celles et de tous ceux qui auront été emportés par l'indifférence et la culture de l'oubli.

Impressionnée, l'étoile montante de la musique classique algéroise l'était assurément, même si leur rencontre, la seule d'ailleurs, ne durera que le temps d'une demi-journée. L'ancienne élève d'Al Fakhardjia a été particulièrement sensible à la sagesse d'un homme fier de son pays et de sa position, de sa raison d'être. L'effet de l'éloignement ne semblait avoir aucune prise sur lui, encore moins le ressentiment, le noir sarcasme ou l'ironie ardente à l'égard de ceux qui n'ont pas la reconnaissance du ventre… Elle n'a fait que l'écouter avec une attention soutenue, avec une admiration béate.

L'attitude particulièrement digne de ce rossignol de la musique classique algéroise n'est pas sans nous rappeler cette légende rapportée par Mohammed Dib, le géant de la littérature nationale : “Quand Sidi Abou Madyan enseignait, les oiseaux, s'ils venaient à passer au-dessus de l'auditoire, s'arrêtaient dans leur vol pour l'écouter aussi longtemps qu'il parlait.”

Elle était tel un oiseau migrateur se posant doucereusement non loin de l'espace où trônait majestueusement l'enfant terrible de la chanson populaire algérienne, égal à lui-même et débordant de dignité. Fier de son algérianité, l'idée de s'en prendre à ceux qui avaient toujours soutenu qu'il ne voulait plus retourner dans son pays, quand ils ne l'avaient pas simplement enterré, ne l'effleurait même pas. Bien au contraire, il souhaitait de tout cœur retrouver le pays de toutes ses passions… Et il était présent au Palais de la culture, dans les pensées de Beihdja Rahal…

 

Abdelhakim Meziani
"LIBERTE" mardi 1er octobre 2002