"Beihdja est venue à l'art par amour"

     
     
 

Kamel Bouchama à l'EXPRESSION

Kamel Bouchama, toujours alerte et prolifique, vient de combler ses lecteurs avec un bel ouvrage qui sort de l'ordinaire. Il est allé, cette fois-ci, titiller agréablement leurs sensations vis-à-vis de ce patrimoine historique et singulier, qu'est la musique andalouse, interprétée par la talentueuse et Grande Beihdja Rahal. Sa production, en plus du fidèle et non moins admirable portrait qu'il fait de l'artiste, est une évocation de l'Andalousie qui est une région des plus fascinantes et qui demeure, jusqu'à l'heure, un symbole de raffinement et de rayonnement culturel. Notre confrère du quotidien L'Expression a été à sa rencontre et lui a posé ces questions...

 

Comment vous est venue l'idée d'écrire un ouvrage, dans la série des «Beaux livres», sur Beihdja Rahal ?

D'emblée, je peux vous dire que j'apprécie beaucoup la «Çanaä» de Beihdja Rahal, parce qu'elle fait dans l'authenticité. Comment m'est venue l'idée d'écrire un ouvrage la concernant? eh bien suivez mon récit.

On se voit souvent en famille, chez des amis communs ou chez moi et, de là est née l'idée de la consacrer par un écrit, à la hauteur de sa valeur, qui restera ad vitam aeternam dans la bibliothèque de l'art et de la culture qui a tant besoin d'être alimentée par de vrais et de beaux ouvrages qui vont servir la postérité. Ainsi, je me rappelle que l'idée est venue chez Mme Djoher Amhis, pédagogue et écrivaine, qu'il est peut-être inutile de présenter tellement elle fait l'actualité, malgré son âge avancé.

Là, effectivement, au cours d'une rencontre autour d'un café, j'ai eu cette expression spontanée, à l'endroit de Beihdja: «Dis-moi, que penses-tu d'un bel ouvrage te concernant?» Evidemment, je savais quoi dire, parce que l'ambiance s'y prêtait, du fait que bien avant, j'ai écrit un livre pour rendre hommage à mon ami médersien, responsable de la section d'Alger, le moudjahid Abdelkader Allal, membre fondateur de l'Ugta avec Aïssat Idir en 1956, responsable de l'Ugema pour Alger au cours de la même année, arrêté au maquis, jugé et condamné à une lourde peine, grand commis de l'Etat après l'indépendance et, enfin, député de la wilaya de Médéa.

Beihdja, satisfaite, a répliqué: «Et..., pourquoi pas, puisque tu as du talent pour faire un beau travail»... Ensuite, on en est resté là, avec l'attente chez Beihdja, et avec une ferme volonté me concernant, pour écrire cet ouvrage. Mais un travail de cette envergure, il lui fallait du soutien, cette matière indispensable pour mener à bien une pareille gageure. Alors, de là, une odyssée devait commencer pour moi..., dont vous devinez le reste, dans un monde où le livre n'est pas du tout en odeur de sainteté au sein de la société et, par voie de conséquence, chez les responsables.

Et là, je reprends, sans aucune gêne, les propos de la sociologue Sylvie Octobre, qui expliquait, et à juste titre que «la lecture n'est plus considérée comme la porte d'accès privilégiée au savoir et n'est plus synonyme de plaisir». A cela, s'ajoute pour ce qui est de chez nous, le fait que l'école et les parents, depuis très longtemps, n'ont pas joué leur rôle dans ce domaine. Espérons que le livre reprenne ses lettres de noblesse et qu'il soit offert, comme un beau cadeau, aux enfants pendant les fêtes, les vacances et les anniversaires.

 

Ensuite, qu'avez-vous fait pour entamer votre travail ?

Je n'ai rien fait d'autre que de l'entamer, tout simplement, sans attendre cette main salutaire qui allait m'assurer l'édition et la parution de cet ouvrage qui demande beaucoup de moyens. Je l'ai commencé en janvier 2017, après avoir réuni l'essentiel en termes d'informations et de documents qui puissent me donner des résultats à la mesure de mes espérances et de celles de Beihdja qui, en toute évidence, est la première concernée par ce travail..., puisqu'il s'agit d'elle.

J'ai écrit avec mon coeur, comme à l'accoutumée, parce que j'aime la perfection..., j'aime le travail bien fait et je vais jusqu'au détail. Ainsi, après avoir terminé l'essentiel dans cet ouvrage, j'ai commencé à prendre attache avec Beihdja dans l'esprit de créer une bonne coordination, afin de parfaire mon travail. Elle avait des documents à me fournir, notamment des photos, de même que des précisions sur ses galas, ses rencontres, ses cérémonies etc... Ainsi, j'ose dire, sans me vanter, que mon travail est aussi complet que bien fait, et donc respectable. C'est ce qui me pousse à le recommander à tout le monde et, principalement, aux amateurs du bel art.

 

On remarque, dans cet ouvrage, que vous avez opté pour des titres chatoyants... Est-ce une habitude chez vous ou une forme d'écriture que vous privilégiez pour cette production uniquement ?

En réalité, j'aime utiliser des titres de cette nature et, de ce fait, ma réponse est valable pour les deux parties de votre question. En outre, vous devez savoir, qu'un ouvrage pareil, dans la série des «Beaux livres», doit être entouré de tous les éléments et de toutes les formes qui le rendent attrayant, comme son nom l'indique. De plus, il s'agit de l'art, de l'authentique, et d'une artiste dont le talent a dépassé nos frontières...

Comment ne pas attirer les lecteurs, parmi eux un nombre important de ses fans, à prendre connaissance, dans l'aisance, du beau style, en des phrases remplies d'harmonie et de rimes, d'un travail hautement conçu pour mieux le diffuser au sein d'une communauté d'amateurs de cet art qui doit prospérer davantage aujourd'hui et s'imposer en milieu d'une diversité culturelle concurrentielle.

Cela dit, je dois préciser que si je verse dans cette forme d'écriture, c'est pour exprimer ma culture et m'inscrire dans la réalité du marketing didactique... Par exemple, quand je parle de Beihdja enfant, je mets ce titre qui lui sied: «Beihdja ne jouera pas à la poupée, ou très peu...», au moment où, dans une de ses photos, elle a dans ses bras cette poupée... Cela pour dire, comme je le souligne dans le corps du texte, que c'est encore une enfant..., mais elle a choisi sa «kouitra».

Ainsi, dans ma conception d'auteur, je veux expliquer que Beihdja Rahal n'est pas venue à cet art par accident ou par manque de réussite dans sa scolarité car, sur ce plan précisément, elle n'a aucun complexe. Et, si elle est venue à cet art, c'est parce qu'elle en était amoureuse... tout simplement!! Oui, car sur le plan scolaire et universitaire, Beihdja qui a fait de bonnes études, les a terminées à l'université et a enseigné dans plusieurs lycées d'Alger, d'où le titre: «La prof de sciences naturelles ne fait pas long feu dans ses lycées...», et je continue: parce que le démon de la musique la poursuit et l'assaille!

Voyons encore ces titres chatoyants dont vous parlez. En effet, je les aime ainsi pour expliquer la profondeur de cette Dame de la Çanaâ d'Alger qui s'investit constamment dans le classique en allant chercher les meilleurs textes de ces géants qui avaient donné, jadis, la véritable résonance à la musique andalouse. Ainsi, je titre, parce que c'est plus conforme à la réalité: «Beihdja est aussi dans un poème du Sévillan Ibn Sahl el Andaloussi», ce grand poète de l'Andalousie mauresque du XIIIe siècle.

Cela pour dire qu'elle prend contact avec ce géant qui a obtenu une grande notoriété auprès de ses contemporains, surtout par sa capacité d'improvisation et des poèmes apparus dans «Les Mille et Une Nuits». Et là, je veux montrer qu'elle n'est pas adepte de bricolage...

 

Permettez-moi cette dernière question; que pensez-vous de l'art de Beihdja Rahal et de son évolution au sein de la société algérienne ?

Là, vous touchez au fond du pourquoi de ma proposition à Beihdja Rahal de publier la concernant un ouvrage de cette propension. Et votre présente question me laisse toute latitude pour vous affirmer que l'on écrit lorsqu'on a quelque chose à dire, en d'autres termes, l'on écrit parce que l'on est touché par un sujet donné que l'on aime beaucoup, et qui mérite d'être publié pour être largement connu et apprécié.

Indépendamment de ce diagnostic de généraliste, laissez-moi vous dire que je suis un grand amateur de la musique andalouse, que j'ai baigné dans ce climat depuis ma tendre enfance quand j'assistais, avec mes parents, aux fameuses soirées du maître Dahmane Ben Achour. C'est en fait une éducation familiale qui s'est confortée par mes études à la Medersa d'Alger, le lycée franco-musulman de Ben-Aknoun, où lorsque nos professeurs, les Ben Zekri, Aouissi El Mechri, Ould-Rouis, Agha, Belgrade, Bendali, Mostefaï, Merad et d'autres parlaient de musique, ils évoquaient, sans hésiter les Bachtarzi, Fakhardji, Khaznadji, Ben Achour, El Hadj El Mahfoudh...

C'est dans cette continuité que je me suis projeté sur Beihdja Rahal parce que son art, l'andalou, principalement la Çanaâ d'Alger, respire l'authenticité, le bon goût, le sérieux et la continuité de ce genre de musique classique, telle qu'elle nous a été transmise de Cordoue et de Grenade.

Beihdja Rahal interprète, indépendamment des classiques bien connus dans ce style, de beaux textes de grands maîtres de la poésie arabe pendant la période des souverains en péninsule Ibérique, les Ibn Zeydoun, Lissen Eddine Ibn El Khatib, Ibn Khaffadja, Ibn Sahl El Andaloussi, déjà cité, et de l'occupation byzantine, Abou Firas El Hamdani, ou de la poésie soufie, celle de Djalâlad-Din Rûmi, par exemple. Donc, comment ne pas apprécier l'art mis en scène, prodigieusement et noblement, par Beihdja Rahal qui le présente harmonieusement par une voix douce et mélodieuse?

Maintenant, pour ce qui est de l'évolution de son art au sein de la société algérienne, je suis quasiment persuadé qu'il est en train d'avancer à la vitesse qu'il s'est ordonnée naturellement dans notre pays et dans les milieux jeunes surtout. Vous savez, cet art, qu'on appelle communément l'andalou, poursuit son ascension sûrement et allègrement, dans la pérennité.

Suis-je plus optimiste que ceux qui prennent en charge, et au quotidien, cette véritable passion de la musique andalouse, parce que je suis un accro, disons un mélomane lucide, ou parce que cet art a de plus en plus d'adeptes au sein de la jeunesse, malgré de substantiels moyens qui vont «ailleurs» pour développer et encourager des musiques modernes qui nous ont été prescrites par les vicissitudes du temps?

Non, franchement non, parce que je dis, sans risque de m'abuser ou de paraître exagérément dithyrambique, que l'art de Beihdja Rahal et des autres qui, fort heureusement s'accroissent, chez les hommes et les femmes, et qui ont aussi du talent, prend de la hauteur. Je constate cette évolution qualitative au niveau des groupes de musique andalouse qui se forment et se multiplient ici et là, même dans les villes éloignées du pays, où cette musique n'était pas une tradition. Les jeunes donc s'adonnent de plus en plus à l'andalou et en font leur violon d'Ingres..., pour rester dans le domaine.

En effet, les jeunes affluent vers cet art, même en dehors de nos frontières, et Beihdja Rahal le constate si bien dans ses master class où ils viennent en nombre pour s'inscrire et apprendre assidûment ce qu'ils considèrent être la tradition, l'originalité, la notoriété, l'amour pur ou l'amour platonique et, enfin, l'Histoire, celle qui n'oublie pas et qui retrace ces périodes avec ses événements, beaucoup d'événements, où musulmans, chrétiens et juifs ont eu à se rencontrer, à s'allier et à se confronter, à s'unir et à se diviser, à s'aimer et à se haïr, à se soutenir et à se médire réciproquement... Cet art, en fait, reste le fidèle interprète d'un long périple des nôtres et ceux venus des pays du Levant, de 711 à plus de ce funeste janvier 1492, où ils étaient sommés de quitter ce qu'ils avaient édifié avec goût et passion.

 

Vous ne voulez pas ajouter quelque chose, en guise de conclusion ?

Si, je veux bien car, comme je ne suis pas ingrat, je tiens à travers votre journal, à remercier ceux qui, enfin, après une longue attente, m'ont prêté main forte pour réaliser mon voeu et me permettre d'éditer ce bel ouvrage, dans la série des «Beaux livres» que j'ai intitulé «Beihdja Rahal, la félicité du répertoire andalou».

J'ai nommé le ministère de la Culture - même si c'est un grand honneur pour lui de participer à sa réalisation - et particulièrement le DG de l'Enag qui a tenu à ce que ce travail soit bien suivi dans sa chaîne de production, soit bien réalisé et mis en valeur pour être présent au prochain Sila d'octobre 2018, avec ma Trilogie: «La Glorieuse épopée de nos ancêtres», qu'il produit également dans son entreprise. Une motion spéciale à ce gestionnaire d'un secteur, pratiquement stratégique, qui a su répondre présent à un moment où la culture a besoin de productions concrètes.

Mon dernier mot, est que je suis d'autant plus satisfait car ces deux grandes productions vont certainement enrichir notre Bibliothèque nationale et permettre aux chercheurs et aux jeunes de trouver énormément de réponses à leurs questionnements. Encore une fois, merci..

 

Amokrane Chenoui
"L'EXPRESSION" jeudi 13 septembre 2018