Sortie du double CD de Beihdja Rahal
     
     
 

Sur un air de nouba

Disponible aux  éditions IMA et Harmonia Mundi, le double CD de Beihdja Rahal est accompagné d'un livret qui met en exergue la traduction des poèmes chantés en français par Saadane Benbabaali et Farouk Tazerouti et en anglais par Reena Khandpur. Dans ce CD c'est tout l'art de la nouba qui exprime la nostalgie, la tristesse, l'amour déçu, et l'espoir.

Conçue au IXe siècle en Andalousie, la nouba est d'abord l'œuvre d'un homme, Ziryâb (dont le vrai nom est Abû Al-Hassan 'Ali ibn an-Nâfî, né en 789 dans l'actuel Irak et décédé à Cordoue en 857) qui est à l'origine du chant andalou. Sa musique rencontre la poésie andalouse dont la structure strophique répond à la nécessité de variation mélodique qui caractérise la nouba et s'épanouit dans ses thèmes de prédilection : Douceur de vivre et amour courtois, mentionne Jessie magana dans ce livret.

D'Andalousie, la nouba chemine à travers  le Maghreb et le Mechrek, par le biais des musiciens et lettrés qui sillonnent la région. Au fil de la reconquête  de l'Andalousie par les chrétiens au XVe siècle, elle accompagne les mouvements migratoires et s'enrichit d'apports locaux.

C'est ainsi que les écoles comme le gharnâtî de Tlemcen (originaire de Grenade), la san'â d'Alger (venue de Cordoue) et le mâlûf de Constantine (originaire de Séville) voient le jour. Par la suite, l'art de la nouba n'a pas évolué, et de nombreuses pièces sont  tombées dans l'oubli. D'autres ont vu leur mode se confondre. Près de la moitié des noubas d'origine ont ainsi disparu.

C'est dans les années 1930 qu'une poignée de passionnés ressuscite l'art de la nouba. La radio, le disque, puis la télévision, les festivals et aujourd'hui internet sont des relais de la propagation, de la préservation et de la sauvegarde de ce patrimoine musical riche des deux rives de la Méditerranée. Selon Jessie magana qui évoque  la structure de la nouba, «Chaque nouba repose sur un mode appelé tab', qui lui donne généralement son nom.

Dans l'école algérienne, ils sont au nombre de douze : dîl, m'djanba, h'sîn, raml al-mâya, raml, ghrîb, zîdân, rasd, mazmûm, sîka, rasd ad-dîl, mâya. La légende raconte que le répertoire de Ziryâb comportait 24 noubas, sur 24 modes conçus pour chaque heure de la journée. Cependant, même si certaines noubas comportent des allusions au crépuscule ou au lever du jour, rien ne permet de confirmer cette hypothèse».

Il est à noter que les instruments d'origine sont le luth ('ûd) et ses dérivés (luth 'arbî, kwîtra), le qânûn (cithare), la flûte-nây et les percussions : t'biblât et târ. D'autres instruments sont venus se greffer au fil des siècles comme la derbouka, violon, alto, mandoline, et  piano.

«L'architecture de la nouba était très précise. Toutes les noubas n'ont pas conservé leurs mouvements, et se sont également enrichies d'autres pièces, ou istikhbar, relevant de l'improvisation». Chaque nouba commence par la m'shâliya, une ouverture instrumentale non rythmée, hésitante, qui aboutit à une dernière phase harmonieuse, annonçant l'entrée dans la tushiya», précise-t-on dans ce livret.

Cette dernière demeure instrumentale mais une percussion entre en action et annonce les mélodies qui seront chantées dans les sections suivantes. Le tempo s'emballe jusqu'à la transe avant de ralentir pour préparer l'arrivée de la première pièce vocale : le m'saddar. «C'est ce qui ressort de ce CD».

Dans un autre volet, les parcours de Sadaane Benbabaali et de Beihdja Rahal évoqués à travers une riche biographie mettent en exergue le talent de cette mélomane qui a su s'intégrer dans la cour des grands. Dans ce CD, Beihdja  a interprété les douze noubas sous le mode mdjenba et mezmoum. «Avec sa voix cristalline, elle a enregistré les douze modes de la musique andalouse, une première dans l'histoire de cette musique, jusque-là chasse gradée des hommes»,  lit-on sur ce livret. A tous les férus de musique andalouse, courez vite vous procurer ce CD.

 

Kheira Attouche
"LE TEMPS" samedi 19 février 2011