«Je me sens investie du devoir de donner tout ce qui est en ma possession»   
     
     
 

L'interprète de musique arabo-andalouse, Beihdja Rahal, vient d'enregistrer un nouvel album dans le mode sika. Elle boucle ainsi son 18e CD. Mais juste avant, elle avait publié un ouvrage sur la poésie et la musique classique algérienne qu'elle a écrit en collaboration avec le Dr Saadane Benbabaali et intitulé La plume, la voix et le plectre.

Néanmoins, dans cet entretien qu'elle a bien voulu nous accorder, Beihdja Rahal nous livre sa volonté de faire dans la transmission, à savoir qu'elle ne veut rien laisser par-devers elle et léguer tout ce qu'elle possède comme connaissance musicale aux musiciens et musiciennes en herbe de l'Algérie profonde. Ce sera une façon d'aider ces jeunes artistes qui n'ont pas la chance d'être en contact avec des maîtres de la musique arabo-andalouse.

 

Parlez-nous de la tournée que vous avez effectuée dernièrement en Algérie et l'impact sur le public de l'Algérie profonde. Que retenez-vous depuis votre retour en France ?

Il y a un encore un énorme travail à faire. Le public de l'intérieur se sent lésé par rapport à celui des grandes villes. Il n'a pas accès à tous les spectacles et nouveautés. On a souvent entendu dire que la musique classique algérienne n'était appréciée que par un public averti. Donnons l'occasion à l'Algérien sur tout le territoire national de découvrir sa culture, sa musique, son patrimoine… C'est à lui, suivant un choix et un goût personnel, de garder ce qui lui plaît.

Il y a des villes où aucune association musicale ne s'est créée, je ne parle même pas de conservatoires. Les maisons de jeunes, les centres culturels essaient d'intéresser l'enfant à la musique andalouse, mais où sont les professeurs formés qui s'installent dans ces villes. Nous n'avons pas encore pris conscience que cette musique doit être transmise et enseignée comme n'importe quelle matière scientifique ou littéraire dans les écoles. On parle de musique savante, il faut un programme établi, une commission qui contrôle le travail de chaque enseignant, de chaque association. La route est encore longue.

 

Est-ce que Beihdja projette d'enregistrer un autre CD et dans quel mode si c'est le cas ?

Je viens tout juste de sortir un nouvel album nouba sika chez Belda Diffusion, il sera bientôt disponible chez les disquaires. En ce moment, je m'occupe de sa promotion. J'ai plein de projets mais tant qu'ils sont au stade de réflexion, je n'en parle pas encore.

 

On parle d'une grande tournée que Beihdja va effectuer très prochainement. Peut-on savoir de quoi s'agit-il ?

La première tournée a été très enrichissante et très importante pour moi. Avec l'ONCI, nous pensons aller dans d'autres villes. J'ai projeté aussi de faire une tournée dans les écoles, dans différentes wilayas du pays. Pour cela, il faudrait que les chefs d'établissements scolaires, les responsables de l'éducation et les directeurs de la culture s'investissent également. J'en ai parlé avec M. le wali d'Oum-El-Bouaghi et le directeur de la culture, l'idée leur a plu, je suis en attente d'une réponse.

Il y a moins de quinze jours, j'ai été contacté par l'association de musique andalouse El-Amel de Sougueur. Je n'étais pas du tout au courant de l'existence de cette école. C'est une association qui se sent isolée, faute de moyens. Nous sommes arrivés à programmer des masters class entre les 21 et 24 avril prochain. Ça sera une occasion pour moi de parler avec ces jeunes qui ne demandent qu'à apprendre. Je deviens à mon tour un modèle pour cette jeune génération, qui a besoin de références pour avancer et persévérer.

Comme j'ai eu la chance d'apprendre une bonne partie du patrimoine çanaâ grâce à mes maîtres et professeurs, je souhaite la transmettre à mon tour. Je ne prétends pas posséder la totalité de ce patrimoine mais je me sens le devoir de « donner » tout ce qui est en ma possession. La principale méthode d'enseignement reste orale, on n'a pas le droit de garder pour soi, ne serait-ce qu'une infime partie de ce legs. L'andalou existe depuis des siècles, il faut que ça continue, afin d'éviter d'autres déperditions.

 

La semaine dernière vous avez donné un concert en Belgique. Parlez-nous de ce public. Comment est perçue la nouba andalouse en Europe ?

Le public était en grande majorité belge, il s'est déplacé pour découvrir une musique qu'il ne connaissait pas. En Europe, dans toutes les salles où j'ai chanté, le public était pratiquement le même : curieux et toujours à la recherche des musiques du monde. Je suis toujours ravie de lui présenter ce genre particulier.

 

Est-ce qu'il y a des enfants français par exemple qui s'inscrivent dans les écoles de musique andalouse ?

Depuis des années, je donne des cours d'andalou à l'ELCO (Enseignement de la langue et culture d'origine) qui dépend de l'école algérienne. Mes élèves sont des enfants nés en France et dont les parents sont algériens. Leur attachement aux racines et à la culture algérienne est tellement fort qu'ils veulent le transmettre à leurs enfants. L'important est que l'enfant d'origine algérienne s'intéresse et apprenne cette musique ; il est lui aussi, comme l'enfant qui est en Algérie, la relève de demain. On ne doit pas marginaliser la communauté algérienne à l'étranger, on doit lui inculquer nos traditions, notre culture et tout ce qui va la rendre plus forte.

 

On dit souvent que la vraie histoire de la musique arabo-andalouse se trouve dans les universités de France. Est-ce que cela est vrai ?

C'est en France que j'ai lu la plupart des ouvrages concernant la musique andalouse. En Algérie, les publications dans ce genre musical sont rares.

 

Votre livre avec Saadane Benbabaali a-t-il eu l'audience escomptée auprès du public ? Avez-vous l'intention de le publier en France ?

Nous sommes en train de le présenter nous-mêmes, pour le moment, dans des rencontres-débats, conférences en attendant qu'il soit distribué par un réseau plus important. Le prochain rendez-vous est pour le jeudi 2 avril au Centre culturel algérien à Paris. C'est une occasion pour Saadane et moi d'écouter l'avis des personnes qui l'ont lu. Nous avons d'autres rencontres prévues au courant de cette année 2009 en attendant d'éditer un deuxième volume.

 

Vous qui faites dans l'authenticité, comment concevez-vous la création de pièces musicales à inspiration andalouse ?

Pourquoi pas. La musique andalouse est belle, il est normal que certains artistes s'en inspirent. Seulement, qu'on ne dise pas que c'est pour remplacer ce qui a été perdu. Le âroubi, le hawzi et le mahdjouz sont trois genres inspirés de l'andalou. Malgré cela, on ne les a pas associés à la nouba.

 

Dans un autre registre, que pensez-vous du mélange des trois écoles andalouses ?

Nous avons trois grandes écoles, chacune est représentée par ses maîtres. Comment les rassembler en une en faisant abstraction des nuances et des particularités de chacune d'elles. Je ne peux pas parler de gharnati sans citer Radouane Bensari. Je ne peux pas non plus parler de çanaâ sans citer Abderrezak Farkhardji ou Hadj Omar Bensemmane. On n'imagine pas du tout Abdelkrim Dali chanter du malouf. Les trois écoles sont une richesse, gardons-la.

 

Pour conclure

Le public s'intéresse de plus en plus à la musique arabo-andalouse. C'est ce qui est encourageant pour continuer le parcours et multiplier les efforts aux fins de donner une qualité meilleure.

 

Propos recueillis par Mohamed Belarbi
"LE SOIR D'ALGERIE" jeudi 26 mars 2009