J'essaye d'être la plus proche de l'authenticité des noubate  
     
     
 

L'instrumentiste et interprète de musique andalouse Beihdja Rahal : « J'essaye d'être la plus proche de l'authenticité des noubate »

 

Tout d'abord, marquons une halte pour faire le point sur votre travail. Où en êtes-vous avec l'enregistrement des noubate ? Un peu de pédagogie, sur combien de noubate travaillez-vous et en quoi consiste exactement les séries ?

Je travaille sur les douze noubate existant à Alger. Quand je parle d'une série, c'est bien de ces 12 noubate dont il est question. J'ai entamé l'enregistrement d'une première série en 1995 puis une 2e en 2004. Dans cette 2e série, il me reste 3 noubate pour boucler le tour.

 

Rencontrez-vous des difficultés, de quelque ordre que ce soit, dans votre travail de compilation et documentation pour rassembler tous les «morceaux» d'une noubate avant son enregistrement ?

Tout patrimoine nécessite des heures de travail, de recherche et beaucoup de rigueur. C'est normal qu'il soit difficile de rassembler tous les morceaux, nous parlons d'un répertoire à transmission orale. J'ai eu la chance de faire mon apprentissage auprès de maîtres reconnus qui n'ont certainement pas eu le temps de tout me transmettre. C'est donc à moi de continuer à chercher les pièces qui me manquent, les travailler puis les enregistrer pour qu'elles soient à la portée de tous.

 

Bénéficiez-vous d'une aide quelconque, ici, en Algérie, ou ailleurs pour la collecte des données, la transcription et/ou l'enregistrement des noubate ?

Lorsque j'ai entamé l'enregistrement des noubas, c'était un choix personnel et je me sentais prête à le faire. C'est ma passion pour la nouba qui me fait avancer. Je n'attendais aucune aide pour faire ce travail mais quand elle se présente pourquoi pas. J'ai eu des sponsors pour certains albums, comme Air Algérie. J'aurais souhaité avoir une aide pour le coffret que j'ai édité à la fin du mois de février avec Belda Diffusion. Il comporte cinq noubate et un DVD retraçant un peu mon parcours artistique. Des photos, des extraits vidéo de concerts, de voyages au cours des 30 dernières années ponctuent ce coffret.

 

Peut-on dire qu'à l'enregistrement vous livrez un travail complet et que vos albums pourraient constituer des références ?

Oui certainement. Mes albums deviennent une référence pour les associations, pour les jeunes. C'est pour eux aussi que je fais ce travail en essayant d'être le plus proche de l'authenticité. Je suis à mon 22e album, j'espère que c'est une bonne base de travail pour la relève.

 

Etes-vous seule sur ce terrain ou connaîtriez-vous d'autres artistes ou institutions qui font le même travail ?

Je ne suis pas seule et heureusement. Les institutions étatiques font, elles aussi, un travail de sauvegarde du patrimoine, c'est leur rôle.

 

Avez-vous une idée de l'impact socioculturel de votre travail, en termes de préservation, diffusion et socialisation de la musique andalouse ?

J'ai une petite idée par les messages que je reçois régulièrement du grand public. Ce public qui n'a jamais pratiqué de musique andalouse et qui n'écoutait pas spécialement ce genre musical et encore moins se déplaçait pour des concerts. Je ne pensais pas trouver un public qui suit mon travail lorsque je suis en tournée en Algérie. Des personnes me disent qu'elles ont découvert l'andalou par ma voix, quel honneur.

 

Selon vous, la musique andalouse gagnerait-elle en croisant d'autres musiques savantes ou genres musicaux différents, qui pourraient lui permettre d'élargir ses horizons auditoires ?

Pourquoi pas. Il n'est pas interdit de faire ces croisements. Certainement que ça peut être intéressant à écouter. L'artiste a besoin de s'essayer à d'autres musiques, des métissages, des mariages de genres différents… ces arrangements, ces compositions ne doivent pas intégrer le patrimoine préservé.

 

Avez-vous tentez ce genre d'expérience, si oui, quelles appréciations en avez-vous retirez ?

Oui, plusieurs. Le fait de chanter une nouba, accompagnée par l'orchestre philarmonique de Rouen constitué de 170 musiciens, quelle belle expérience. Je dis bien expérience car ça reste occasionnel. J'ai chanté avec un guitariste espagnol, j'ai adoré, mais ma passion reste la nouba. Je la défends et j'essaie de la transmettre en respectant la pure tradition.

 

Ne pensez-vous pas que la musique andalouse devrait être inscrite sur la liste du patrimoine de l'humanité de l'Unesco ?

Bien sûr que oui. Elle a sa place parmi toutes les musiques traditionnelles qui font à présent partie du patrimoine de l'Unesco.

 

Une fois que vous aurez fait le tour des noubate, que comptez-vous faire ?

Je suis loin d'avoir fini. Je ne sais pas si une seule vie suffit pour faire le tour ! J'essaie d'enregistrer un maximum en donnant le meilleur de moi-même et en m'investissant à 100% et le plus sincèrement possible. La meilleure récompense est mon public.

 

Entretien réalisé par Hassan Gherab
"LA TRIBUNE" vendredi 8 mars 2013