Splendeur vocale dans l'intimité

     
     
 

Prestation d'exception hier soir dans un amphi Cadet bien rempli. La première soirée de l’université pour tous a brillé de toute la magie du chant modulé en beauté par la grande prêtresse de la musique arabo-andalouse, Beihdja Rahal. Etonnant et envoûtant.

Hasard ou pas? Sans que cela soit prémédité, puisqu’elle n’est pas venue pour ça, Beihdja Rahal a donné un ton particulièrement élevé au printemps de la poésie qui chez nous cette année se déroule en catimini, contrairement à la mère patrie.

L’université pour tous, a eu la bonne idée de convier, au moment où les mots sont censés briller en rimes et sonnets, l’interprète privilégiée de la grande tradition des noubas qui, du côté d’Alger, continuent d’ourler le verbe en poèmes raffinés que les cours du passé faisaient chanter à longueur de journée aux divas des sérails.

Vêtue d’une casaque de velours bleu nuit aux parements dorés comme un habit d’académie, la kouitra aux quatre cordes posée sur le plissé d’un sarouel immaculé, Beihdja, escortée de ses trois musiciens, a entonné avec une intensité mesurée les lents mouvements mélodieux de la Nouba Mezmoum, laissant progressivement flotter dans l’enceinte studieuse le singulier bercement d’une complainte évoquant les trouvères ou baladins d’antan aussi bien que les accents plus familiers du répertoire classique auquel la communauté indienne ici nous a habitués.

Le registre privilégié de Beihdja Rahal est pourtant est pourtant l’une des spécificités du Maghreb, mais comme l’a si bien esquissé l’orateur Christian Poché en préambule, cette musique arabo-andalouse a été nourrie de toutes les sources du monde. Les accointances avec des sons et tonalités d’autres contrées ne sont donc pas coïncidences. Le chant de la soliste algérienne en tout cas est impressionnant avec ses pures et justes envolés qui captivent ce que notre sensibilité auditive garde de curiosité et de liberté.

Les occasions sont assez rares de sortir des sentiers battus pour ne pas se laisser dériver quand on en a l’opportunité vers des partitions inconnues, quitte à forcer son attention quand elle n’est pas d’emblée vaincue. Visiblement la leçon de nouba a été honorée comme l’espéraient les instigateurs de l’université pour tous.

Ce soir, Christian Poché donnera une suite historique à cette aventure et dans quelques jours, c’est le généticien et biologiste Albert Jacquard qui prendra le relais à l’amphi Cadet pour définir le rôle des scientifiques dans le combat pour la démocratie. Le haut niveau culturel, on le voit, est d’actualité sur le campus, et libre d’accès pour tous, on l’a compris. Un beau projet.

 

Marine
"Le Journal de l'Ile (La Réunion)" jeudi 29 mars 2001