Mon devoir est de transmettre le legs de mes maîtres à la relève

     
     
 

Rencontrée lors de l'hommage qui lui a été rendu, le 27 mai dernier, au Théâtre National d'Alger, Beihdja Rahal -cet interpréte à la voix magnifique- nous a donné à chaud ses impressions sur la sortie de son coffret de 27 Cd tout ne manquant pas de souligner qu'elle continuera sa quête : celle de poursuivre ses cycles d'enregistrement.

 

Vous avez l'habitude de donner un concert une fois par an. Mais là, l'ONDA vous a rendu hommage le 27 mai dernier au Théâtre national d'Alger, à l'occasion de la sortie de votre coffret de 27 cd.

Effectivement, j'ai l'habitude de donner un concert une fois par an, mais cette année est assez particulière avec la sortie de mon coffret. Il s'agit d'un coffret de 27 cd qui englobe tous les enregistrements que j'ai entamés depuis 1995. J'avais commencé par la nouba zidane, ensuite je suis arrivée à faire le tour des 12 noubas. J'ai fait, après, un deuxième tour des 12 noubas dans le même mode. Quand je suis arrivée au 27e album, l'Office national des droits d'auteur et droits voisins m'a proposé -d'ailleurs pour moi c'était une excellente idée- de rassembler toutes les noubas que j'ai enregistrées en un seul coffret. Et par là-même me rendre un hommage qu'ils ont programmé pour le 27 mai dernier au Théâtre national d'Alger.

C'est vrai qu'on dit que c'est à l'ONDA de reconnaître le travail de l'artiste, de l'auteur et du compositeur, mais c'est quand même une reconnaissance. Quand j'ai commencé à enregistrer, c'était vraiment pour me faire plaisir et faire plaisir à mon public et à mes fans et essayer de laisser quelque chose pour les générations futures. C'est un travail de préservation et de sauvegarde du patrimoine andalou de l'école sanaa. C'était cela au départ, mais après avoir eu une reconnaissance de la part de l'ONDA, dire qu'il y a un travail qui a été fait par une interprète, c'est très encourageant. C'est ce qui me permet de continuer à enregistrer encore plus.

 

A travers ce coffret de 27 Cd, vous rendez hommage à vos maîtres ?

Ce coffret de 27 albums, je l'ai dédié à mes maîtres, car sans eux, je ne serais jamais arrivée à ce stade. Je ne serais jamais Beihdja Rahal sans leur travail, sans ce qu'ils m'ont transmis. L'ONDA m'a rendu un hommage, mais moi, à mon tour, je voulais rendre hommage à mes maîtres, parce que c'est vraiment tout ce qu'ils m'ont transmis. Et c'était pour leur dire que tout le travail qu'ils m'ont transmis est là. Il n'est pas parti pour rien. Maintenant, c'est à mon tour -c'est un devoir pour moi- de le transmettre aux jeunes.

Mes principaux maîtres sont Zoubir Kakachi, Mohamed Khaznadji et Abderrezak Fakhardji. Pour moi, ces maîtres sont des références. Zoubir Kakachi, même s'il n'est pas connu dans le milieu andalou, est une référence. C'est lui qui m'a appris à mettre les doigts sur la mandoline. C'est grâce à lui que j'ai commencé à jouer d'un instrument musical. Mohamed Khaznadji et Abderrezak Fakhardji sont des maîtres de l'école d'Alger. Après, il y a eu Sid Ahmed Serri, je ne l'ai pas eu comme maître, mais nous avons eu le même maître, à savoir Abderrezak Fakhardji.

 

Après la sortie de cet imposant coffret, comptez-vous continuer sur la même lancée, à savoir terminer le cycle d'enregistrement du patrimoine andalou ?

Je ne compte pas m'arrêter. Cette année, il n'y a pas eu de sortie d'album, car le coffret allait sortir. J'ai commencé en décembre dernier à préparer ce coffret et sa sortie était prévue pour le mois de Ramadhan 2019. C'est pour cela que je m'étais dite qu'il ne fallait pas qu'il y ait deux sorties en même temps. L'un peut couvrir ou étouffer l'autre. C'est pour cela que j'ai décidé de ne pas enregistrer de noubas cette année. Je compte bien dès la fin de l'année en cours, ou au début de 2020, rentrer en studio pour commencer l'enregistrement d'une autre nouba.

 

Pourriez-vous nous donner plus de détails sur ce futur enregistrement ?

Ne brûlons pas les étapes (rires). C'est pratiquement fait, mais généralement le public sait quand je fais un travail et une série d'enregistrements, comme par exemple le dernier album était une nouba mezdj entre rasddil et el maya. Avant c'était une nouba mezdj dans le mode ghrib et zidane. Je pense que le public devine que le prochain sera encore du mezdj entre deux modes.

 

Peut-on affirmer, aujourd'hui, que le legs musical andalou soit bien préservé à travers une panoplie d'enregistrements ?

Je pense qu'il n'y pas assez d'enregistrements. Ce qu'a laissé le regretté musicien Sid Ahmed Serri, c'est pour nous les interprètes. C'est pour les spécialistes. Ce n'est pas pour le grand public. Ce dernier a besoin d'un enregistrement artistique où l'on interprète la nouba, mais il faut qu'il y ait un côté artistique. Pour le commerce, il y a eu la première nouba commercialisée en Algérie, c'était la mienne. Depuis, cela a donné des idées à d'autres. Cela a donné aussi du courage à d'autres pour enregistrer et commercialiser. C'est une très bonne chose. Maintenant, il y a plusieurs interprètes et le public peut choisir.

Je pense que par rapport à tous les interprètes et aux associations qu'il y a maintenant, les interprètes font ce qu'ils veulent. Je pense que le professionnel est libre de chanter ce qu'il veut, même s'il s'inspire juste de la nouba pour créer autre chose. Il chante et interprète ce qui l'inspire. Il n'y a aucun problème, mais les associations musicales andalouses qui font un travail de formation et de sauvegarde, je pense qu'il faut les encadrer parce que pendant des années, on les a laissées seules.

Ces associations ne sont pas encadrées. Elles ont besoin de quelques références et repères pour continuer dans cette formation et cette préservation du patrimoine andalou. L'association, c'est une école. Il faut que les associations apprennent aux apprenants de ce patrimoine à l'état original. Après, quand ils sortent des associations, ces élèves peuvent faire ce qu'ils veulent. Mais il faut transmettre ce patrimoine et ce legs tels qu'il nous ont été transmis. Quand on a un patrimoine oral, on n'a pas le droit, dans une école ou une association, de changer quoi que ce soit. Ils ont l'original. C'est ce qui est naturel, mais après ils se débrouillent quand ils sortent de là.

 

On retrouve, actuellement, un florilège d'associations musicales andalouses, implantées un peu partout à travers le territoire national ?

Dans les années 1970 et 1980, on ne trouvait les associations que dans les grandes villes, surtout Alger, Constantine, Tlemcen, Annaba, Béjaïa, Blida et Mostaganem. On disait à l'époque que c'était une musique citadine. D'accord, cette musique est citadine, mais c'est un patrimoine national. C'est l'Algérie, qui a hérité de tout ce patrimoine. On n'a plus le droit de dire que ce sont uniquement les grandes villes.

Ce qui est bien maintenant, c'est qu'on va au fin fond de toute l'Algérie, on trouve au moins deux ou trois associations. On retrouve aussi, maintenant, des associations, entre autres, à Mascara, Bordj, Khenchela, Oum El Bouaghi, Khemis El Khechna et Miliana, entre autres. C'est un patrimoine qui leur appartient. On travaille sur le texte original. La poésie est signée. On la chante, mais maintenant si on veut créer autre chose, on est libre de le faire. Il faut juste dire que je ne complète pas le patrimoine. Je fais autre chose en m'inspirant de ce qui est beau. Je fais quelque chose qui m'inspire.

 

Vous portez un regard plutôt conciliant sur tout ce qui se fait en matière de création ?

Complètement. Il faut faire simplement la part des choses. En Amérique, il y a la musique classique européenne et il y a tout ce qui se crée et se compose autour. Cela n'empêche pas que les gens écoutent aussi la grande musique classique européenne.

Chez nous, cela doit être la même chose. La musique andalouse est là, mais d'un autre côté, je peux créer autre chose. Le hawzi, El aroubi et le châabi d'où sont-il sortis ? C'était en s'inspirant de la musique andalouse. On peut s'inspirer d'autres choses, mais chaque chose à sa place. Le patrimoine est là et à côté, c'est certainement beau et il y a un public pour cela. Je chante ce qui me passionne et qui me plaît.

 

Quel est le retour de votre public à l'étranger ?

Quand je parle à quelques personnes et qu'on me dit vous faites de la musique, je leur dis, je fais un peu de musique. Je ne dis jamais que je suis Beihdja Rahal. Quand les gens ne me reconnaissent pas dans la rue, je leur dis oui je fais un peu de musique. Après ils me disent qu'ils connaissent un peu la musique andalouse à travers Beihdja Rahal et quand je leur dis que c'est moi, ils sont ravis.

Il est vrai qu'en Algérie et en France, j'ai un large public. Mais maintenant même en Europe, j'ai mon public, puisque les gens cherchent sur n'importe quel moteur, il y a mon nom qui sort généralement le premier. C'est une très bonne chose. C'est encourageant.

 

Qu'en est-il de la tournée nationale que vous devez faire d'ici peu ?

Le directeur de l'ONDA, Sami Bencheikh El-Hocine, et son équipe m'ont informée qu'il y aura une tournée vers la fin août ou début septembre 2019 pour présenter ce coffret de 27 cd. Il s'agit d'une tournée à travers plusieurs wilayas. Le public n'est pas juste à Alger, mais dans toutes les wilayas du pays. Alger n'est pas l'Algérie. Je viendrai avec mon orchestre.

C'était exceptionnel le jour de l'hommage de me produire avec la prestigieuse association musicale andalouse les Beaux-Arts d'Alger. C'était pour dire que la relève est là. Cette association travaille pour la sauvegarde du patrimoine. C'était un encouragement pour les associations musicales andalouses existantes.

 

Sinon, avez-vous d'autres dates de concerts en perspective ?

Comme j'anime l'atelier d'Erlanger (Trans'Cultures) une fois par mois à Nancy, le 14 juin prochain, à 20h00 au château du Charmois Vandœuvre-Lès-Nancy (salle Michel Dinet) nous allons présenter un concert pour présenter tout le travail effectué durant cette saison.

Deux autres dates sont à retenir : le 20 juin pour le spectacle de fin d'année de l'ELCO (Enseignement de la langue et culture d'origine) et le 1er juillet à 19h00 à Paris, pour le concert de fin d'année de mon association qui se déroulera au centre Dunois, Paris 13e.

 

Nacima Chabani
"EL WATAN" mardi 11 mai 2019