La nouvelle génération n'est plus aussi tenace que l'ancienne

     
     
 

L'artiste Beihdja Rahal vient tout juste de sortir aux éditions Ostowana, son 25e album. Dans cet entretien, elle nous en dit un peu plus sur ce dernier opus, tout en ne manquant pas d'aborder d'autres thèmes.

 

Comment s'est effectué le choix des textes poétiques qui sont à l'honneur dans ce 25e album ?

Je suis toujours à la recherche de pièces que je n'ai pas encore enregistrées. Le mode Rasd Eddil a été édité une première fois en 2002, il est revisité dans cet album avec d'autres textes et d'autres mélodies.

Un album me prend pratiquement six mois de préparation avant de rentrer en studio. Le temps de faire un choix du mode, de trouver les pièces musicales, de les travailler avec l'orchestre au détail près. Avec ce 25e album, j'ai complété la 2e série de 12 noubas que j'ai entamées en 2004.

 

Beihdja Rahal est installée en France depuis quelques années déjà, mais se plaît à enregistrer ses albums dans son pays  natal, en Algérie ?

J'ai enregistré mes trois premiers albums à Paris, je n'avais pas tous les instruments traditionnels à cette époque. J'ai une préférence pour les studios en Algérie, car j'ai la possibilité d'agrandir le groupe en rajoutant des altos, le qanoun, le ney et même le rebeb, comme je l'ai fait depuis deux ans.

 

Avez-vous l'intention de continuer votre quête  en poursuivant ce cycle d'enregistrement de noubas ?

Plus que jamais. Surtout depuis que je constate que la nouvelle génération d'interprètes de la nouba n'est plus aussi tenace que l'ancienne. Les jeunes interprètes enregistrent une, deux ou trois noubas, puis passent très vite au hawzi et au âroubi, voire à la composition, même si ça reste proche de ce genre musical.  Ils ont perdu la passion de la préservation qu'avaient les anciens par rapport au patrimoine classique.

 

La pratique musicale du chant et de l'instrument est loin d'être facile. Justement, comment devient-on interprète de la musique andalouse ?

Devenir interprète de la nouba ne veut pas dire devenir chanteur mais plutôt le représentant de ce patrimoine. C'est après des années de formation, des années qu'on ne compte plus. Ce sont des années d'apprentissage, d'écoute, d'exercices et de patience que, peut-être, on le devient.

Côtoyer des maîtres qui vous inculquent le respect et la grandeur de cette musique andalouse, ça vous rend humble et généreux, et votre priorité devient la transmission de cette passion. Cette transmission, qui est un travail pédagogique, passe aussi par les concerts. Le public a besoin de mieux connaître cette musique. Si je me contente de la chanter sans savoir en parler, comment partager cet héritage avec les mélomanes et le grand public ?

 

Sinon  quelle est la nouba que vous aimeriez tout le temps interpréter ?

Je n'ai pas de préférence, j'aime tout le patrimoine car chaque pièce a une interprétation particulière donc une émotion particulière.

 

Vous enseignez en France la musique andalouse à de jeunes élèves, mais n'est-ce pas dans un souci de transmettre ce que  vous ont enseigné vos maîtres ?

Oui, c'est le but. J'ai eu la chance d'apprendre les noubas chez de grands maîtres, je n'ai pas le droit de garder tout ça pour moi. Ma mission est de transmettre à mon tour aux jeunes générations mon savoir et c'est bien pour ça que j'ai créé l'association Rythmeharmonie. Je dispense des cours au niveau de trois classes, la demande est de plus en plus grande. Ma priorité reste la transmission aux plus jeunes, car ce sont eux qui prendront le flambeau.

 

Est-ce facile pour vous d'évoluer ailleurs ?

Malheureusement, je pense qu'il est plus simple d'évoluer en Europe qu'en Algérie en ce moment. La culture n'a plus la place de choix qu'elle avait il y a trente ans. L'artiste en Algérie ne vit pas de son art. Il est obligé d'être chauffeur de taxi, agent de sécurité, salarié dans la fonction publique afin de subvenir aux besoins de sa famille.

En France, le fait de donner des cours et surtout de donner plus de concerts libère le chanteur de ce côté financier. Il peut ainsi se concentrer sur ses œuvres artistiques et ses rêves. L'épanouissement se reflète dans le travail de chaque artiste.

 

Vous avez joué dans plusieurs pays et collaboré avec de nombreux artistes. Quel est votre meilleur souvenir ?

Il est toujours difficile de faire un choix lorsqu'une simple rencontre devient un beau souvenir, car les moments partagés avec un artiste d'un autre pays et d'une autre culture sont enrichissants. Je peux peut-être parler de la dernière.

Ma collaboration avec Albert Recasens, un musicien et compositeur espagnol, avec qui j'ai donné un concert en juillet dernier au Palais de l'Alhambra, à Grenade. C'était à l'occasion de la commémoration de la mort, cinq siècles après, d'Inigo Lopez de Mendoza, deuxième comte de Tendilla et premier gouverneur de l'Alhambra.

Ce spectacle est reprogrammé le 17 septembre prochain en Ile de France, en attendant de le présenter au public algérien. C'est mon souhait.

 

Quels sont vos projets ?

Après le concert donné le 23 avril à Alger, on essayera d'organiser d'autres concerts dans les wilayas pendant le Ramadhan.

Je suis allée à Dubaï en mars dernier, où j'étais invitée pour une émission télé, quel plaisir de parler de ma culture et de ma musique dans des pays arabes, où l'on ne connaît pas beaucoup la culture algérienne.

Le 19 mai, je serai à Sétif pour un festival, le 2 juin à Londres, en plus des spectacles de fin d'année de toutes mes classes de notre association Rythmeharmonie.

 

Nacima Chabani
"EL WATAN" samedi 14 mai 2016