Portrait de Beihdja Rahal par Sofiane Hadjadj (extraits)
     
     
 

Beihdja Rahal: une voix andalouse. Naissance en 1962. Une enfance simple dans ce qui était (peut-être) l'Algérie heureuse. (...)

Vite : au Conservatoire, elle apprend, tous apprennent, en vrac, le solfège, les mélodies, les modes, et surtout ces poèmes dont ils ne comprennent (presque) rien. Personne ne juge bon de leur dire qui est Zyriâb (...), Mahiedinne Bachtarzi (...), Al Isfahânî et son Kitâb el aghânî, Edmond Yafil et son répertoire de la chanson arabe de 1904 à Alger. (...) On leur enseigne la tradition et c'est déjà beaucoup. C'est que la musique andalouse a ses codes stricts, ses gammes qu'il faut inlassablement répéter et ses Maîtres exigeants et inflexibles. Plus tard, ailleurs, Beihdja Rahal apprendra le reste, toute seule ou presque.

Nous sommes en juillet 1981. Beihdja, jeune femme de dix-neuf ans qui interprète lors d'un Festival les solos de la Nouba Rasd Eddil. Des membres de la prestigieuse association Al-Fakhardjia la repèrent et lui proposent d'intégrer le groupe. Sans suite.

Et puis tout s'enchaîne. Mars 1982. Pour préparer un concert de l'Association Fakhardjia, on procède à des essais pour trouver une voix féminine qui interprétera en solo le b'taihi de la nouba H'sine, « Ya moursili ». On met en place le groupe : les anciens sur les deux premiers rangs, les nouveaux aux troisième et quatrième. Le Maître – Abderrazak Fakhardji en personne –, l'assistant, le chef d'orchestre. (...) Les voix chevronnées s'essayent tour à tour et le Maître (...) chuchote ses remarques à l'oreille de son assistant. Noureddine Saoudi est là. Il suggère de donner sa chance à Beihdja, qui lance sa voix dans le vide comme on se jette du haut d'une falaise – son petit cœur à elle bat la chamade. Le Maître : « Qui est-elle ? » La suite ? Un mois plus tard, lors dudit concert, Beihdja exécute en duo le b'taihi avec Hamid Belkhodja, vingt et une minutes au total, interminables, et toujours ce vide sous les pieds.

En juin de la même année, (...) Beihdja rejoint les bancs de l'université. Un an plus tard, membre à présent de la Fakhardjia, elle se retrouve au cœur d'un ensemble – intronisée par le Maître – à conduire de bout en bout l'interprétation de la nouba Rasd Eddil, une première pour une femme. Ça y est : elle a trouvé sa voix.

En 1986, elle fonde avec d'autres l'association Essoundoussia. Elle a vingt-trois ans, poursuit sa formation, assidûment, sagement, jusqu'en 1992 où elle se décide à partir pour la France. (...)

Et puis, coup de tonnerre, en 1995 elle enregistre un disque en solo, la Nouba Zidân, premier enregistrement intégral d'une nouba interprétée par une voix féminine (...). Le reste suivra, entre expériences fondatrices et sillon creusé sans relâche : concert à l'Institut du Monde Arabe, théâtre avec Slimane Benaïssa, début de l'enseignement au Centre Culturel Algérien. (...)

Aujourd'hui, entre Paris et Alger, alors qu'elle continue, sans relâche de jouer, d'enseigner, d'enregistrer (...), Beihdja Rahal a définitivement imposé le grain de sa voix, sa présence sur scène, sa façon de faire, de diriger l'orchestre. (...) Beihdja Rahal, féminisme oblige, se revendiquerait volontiers de ces poétesses (à qui elle a consacré un enregistrement), mais aussi de M'allma Yamna ou Cheikha Tetma, ses grandes devancières, ses modèles, femmes algériennes de tête, forte figures qui balisèrent le chemin.

 

Extraits du portrait de Beihdja Rahal par Sofiane Hadjadj
dans le livre "La Plume, la Voix et le Plectre"