Elle ne s'arrête pas Beihdja  
     
     
 

Elle ne s'arrête pas Beihdja. Elle poursuit, depuis plus de dix ans, son petit ou plutôt son grand bonhomme de chemin, accumulant sur son passage succès et notoriété, mais cela ne lui monte pas du tout à la tête. Classée récemment par le magazine Jeune Afrique parmi les 50 personnalités les plus représentatives de l'Algérie pour tout le travail qu'elle accomplit sans relâche, dans la préservation et la sauvegarde de la musique andalouse, enchaînant, pour ce faire, nouba après nouba, avec un savoir-faire dont il n'est plus utile d'évoquer tant cette artiste s'est ancrée dans les mœurs culturels de ce pays.

Après s'être imposée comme l'une des porte-voix de la musique arabo-andalouse, là voilà aujourd'hui qui investit un univers qu'on ne lui a jamais connu jusqu'ici, la littérature, puisque cette dompteuse de noubas prépare pour le prochain Salon du livre d'Alger (27 octobre au 2 novembre 2008) un ouvrage La plume, la voix et le plectre, la musique et la poésie andalouses.

 

Vous venez récemment d'être sélectionnée par le magazine Jeune Afrique parmi 50 personnalités algériennes qui font l'Algérie. Votre sentiment ?

C'est un honneur pour moi de faire partie des 50 noms qu'on retient dés qu'on parle de l'Algérie.

 

Ce n'est pas la première fois que vous êtes ainsi primée. En 2006, vous avez reçu le prix Mahfoud Boucebci pour le travail que vous faites pour la musique andalouse ?

J'ai été ravie par cette distinction. On m'a appelé pour me dire que j'allais recevoir le prix Mahfoud Boucebci, quel honneur. Avant cela, en 2003, j'étais parmi «les 100 qui font l'Algérie» choisis par le journal «L'Express». Je le sens comme une reconnaissance pour tout le travail que j'effectue depuis une quinzaine d'années.

 

Même loin, vous restez une fidèle invétérée à votre public algérien. C'est là une constance chez vous…

Mon premier public est le public algérien. Même si j'ai commencé ma carrière professionnelle en France, j'ai fait mes classes musicales au conservatoire en Algérie, et très jeune j'ai fait les scènes algériennes avec les associations où j'ai été formée.

C'est en Algérie que je me ressource. Dés que je termine l'enregistrement d'un album, c'est en Algérie qu'il est édité en premier et c'est à Alger que je donne mon premier concert de promotion. Pour moi, le public algérien est mon «baromètre».

 

Vous venez de donner quelques récitals à l'occasion du mois de Ramadan… qu'est ce qui vous a marqué le plus dans ces trois concerts ? Et comment appréciez vous l'animation culturelle notamment en ce mois sacré ?

Le concert que j'ai donné à l'auditorium Laâdi Flici avec les établissements arts et culture a été un moment de pur bonheur : Le public était tellement emporté par la musique qu'il oublié souvent d'applaudir ou plutôt n'osait pas le faire de peur de casser cette atmosphère créée dés le début de la prestation.

 

Un petit retour en arrière, au mois de février où vous avez sorti un nouvel album, Nouba Raml. S'agit-il du meilleur produit que vous avez enregistré jusqu'ici ?

Je ne peux pas dire que c'est le meilleur. J'aime tous les albums que j'ai enregistrés avec bien sûr des préférences. Ça ce veut pas dire qu'ils sont tous parfaits, j'arrive à faire mon autocritique mais le plus important est que mon travail plait au grand public. Je prépare mes enregistrements pendant des mois, je travaille avec mon orchestre aussi longtemps qu'il faut pour donner une qualité que le public pourra apprécier.

 

Parlez nous, si vous voulez de cet album, inspirée d'une légendaire histoire d'amour entre Ibn Zeydoun et Wallada…

Dans cet album c'est plus à Ibn Zeydoun que j'ai rendu hommage. D'ailleurs un texte traçant un peu sa vie accompagne l'album, il a été écrit par Oumelkheir Rahal qui est archéologue. Dans l'avant dernier album, Nouba Zidane, je rends hommage encore une fois à Wellada Bint El Moustakfi. Cette princesse, poétesse andalouse, organisait des salons littéraires où de grands poètes et poétesses se côtoyaient. Une grande histoire d'amour est né entre elle est Ibn Zeydoun et c'est cette belle poésie qu'ils s'envoyaient que j'ai chanté dans mes derniers albums.

Il y a eu un autre album «Cha'ryate» où je rends hommage en plus de Wellada Bint El Moustakfi, à deux autres poétesses andalouses, Oumm El-Hana et Oumm El-‘Ala. On oublie souvent de parler de ces poétesses qui étaient aussi lettrées que les poètes de l'époque et qui ont signé beaucoup de textes que nous chantons dans la musique andalouse sans le savoir. Je ne suis pas féministe mais je souhaite redonner à la femme la place qu'elle mérite dans ce domaine.

 

Dans une conférence que vous avez donnée lors de la sortie de ce produit, vous avez dit que vos albums sont mal distribués. Pourquoi ? À qui la faute ?

J'ai plutôt dit que nous retrouvons mes albums le plus souvent à Alger et pas ailleurs. Le public qui écoute cette musique et qui souhaite trouver ces albums chez son disquaire n'est pas seulement à Alger, il est dans toutes les autres villes d'Algérie, pourquoi le priver comme pour les concerts. Je pense que c'est aux grands distributeurs à trouver une solution pour que leurs produits soient disponibles sur tout le territoire national.

 

Pourquoi continuer à faire dans la Nouba si vous avez enregistré les 12 noubas de la musique andalouse ?

J'ai fait le tour des douze noubas une première fois mais je n'ai pas enregistré la totalité des morceaux existants dans chaque mode. C'est pour cela que j'ai entamé une 2ème série mais avec des morceaux différents. Cela me permet de compléter mon répertoire.

 

La deuxième série de Noubas que vous êtes en train d'enregistrer depuis 2005 (Mezmoum, Rasd et Zidane) s'inscrit-elle dans le même esprit que la première série et combien de Noubas comportera-t-elle ?

Elle va certainement comporter douze noubas comme la première si j'arrive à trouver la matière. Il ne suffit pas de dire je vais enregistrer douze noubas et ça va se faire comme par coup de baguette magique. Il faut avant tout les avoir puis les travailler et les enregistrer. Ne pensez pas que c'est une mince affaire. C'est un travail qui peut prendre toute une vie et encore. Je rêve d'enregistrer tout le patrimoine, mais il faut d'abord que je l'aie. Jusqu'à présent et même après plus de trente ans de formation, je n'ai acquis qu'une partie du patrimoine, rien ne dit que je pourrais le compléter entièrement.

 

Vous plaidez pour le strict respect de la musique andalouse en rejetant toute velléité d'ouverture. Pourquoi, l'ouverture est si dangereuse que ça ?

Notre patrimoine andalou est en danger : il n'est pas transcrit comme les autres musiques classiques. C'est ce qui le distingue d'accord mais il faut penser à sa préservation. Nous avons hérité d'une grande musique, d'une musique savante. En l'interprétant, en la diffusant et en l'enregistrant, il faut essayer de garder son authenticité, c'est ainsi qu'elle parviendra aux générations futures. L'ouverture n'est pas interdite, ce qui est interdit, c'est d'essayer d'introduire des créations récentes dans le patrimoine ancestral.

 

D'autres interprètes, à l'image de Noureddine Saoudi, ont tenté l'aventure et ne sont pas, alors là pas du tout cassés, les dents comment l'ont supposé certains connaisseurs…

Noureddine Saoudi a interprété des nouveautés propres à lui, ceci n'est pas du tout interdit. L'artiste transmet ce qu'il ressent, développe son inspiration… peut être que les conservateurs l'ont mal pris au départ mais du moment qu'il a dit que son travail réalisé ne faisait pas partie du patrimoine, ça avait calmé les esprits ! Je fais partie de ses conservateurs qui oeuvrent pour la préservations des noubas andalouses comme elles nous sont parvenues, c'est ma passion et j'au beaucoup de plaisir à le faire.

 

Quelle est la Nouba qui vous a le plus inspirée ?

Elles m'ont toutes inspirées, peut être avec une petite préférence pour les mode en Zidane, comme le Raml et la M'djenba. Sinon tous les modes sont beaux quand ils sont bien interprétés.

 

Que pensez vous de la démarche de l'Orchestre nationale de musique andalouse de fusionner les trois écoles de cette musique à savoir, Alger, Constantine et Tlemcen ?

Pour moi, ce n'est pas une bonne initiative. Nous avons hérité de trois écoles, ayant certes, la même origine, mais du moment qu'elles sont particulières et qu'elles sont aussi belles les unes que les autres, pourquoi ne pas les garder. Chaque école a ses rythmes, ses nuances, ses maîtres… c'est notre richesse, pourquoi les rassembler en une. Abderrezak Fakhardji n'était capable de nous enseignait que la çana'a. Le malouf de Constantine et le gharnati de Tlemcen n'étaient pas sa spécialité.

 

En plus, de la musique vous avez décidé cette fois de vous jeter dans le monde la littérature en signant un ouvrage sur la musique andalouse. Parlez nous de ce projet et des raisons qui vous ont poussé à l'entamer…

Je ne me suis pas lancée dans l'écriture, je laisse ce domaine aux spécialistes. Je co-produis un ouvrage qui s'intitule «La plume, La voix et Le plectre» avec un spécialiste du mouwachah andalou, qui est Saadane Benbabaali. Il est professeur de littérature arabe à Paris III. Nous travaillons ensemble depuis plusieurs années, il a traduit, de l'arabe au français, une grande partie de la poésie que j'ai chanté dans mes albums.

Mon domaine reste l'interprétation des noubas, je lui laisse le soin d'écrire sur la musique andalouse, la nouba et le mouwachah. D'ailleurs l'ouvrage sera accompagné d'un CD «Nouba Raml». Je suis à mon 17 ème album et à chaque sortie, des fans, surtout des jeunes, m'écrivent pour me remercier pour toutes les explications que je donne dans le livret qui accompagne le CD. L'idée m'est donc venue, avec Saadane Benbabaali, d'éditer un livre qui regroupe des mouwachahate mais surtout des informations et des détails sur la musique andalouse.

Nous avons pu le réaliser avec la collaboration de l'Office Nationale des Droits d'Auteur et des Droits Voisins (ONDA), grâce à Monsieur Hakim Taoussar, son directeur général. Il sera édité chez Barzakh et sera disponible pour le SILA en octobre 2008. Par cet ouvrage didactique, qui sera dans toutes les librairies et bibliothèques, j'essaie d'élargir le public qui devient de plus en plus intéressé.

 

Très peu de livres ont été écrits sur la musique andalouse. Pourquoi ?

Parce que nous avons très peu de spécialistes en Algérie. Les musicologues sont rares, on peut les compter sur les doigts d'une main. Je ne parle pas de ceux qui s'autoproclament musicologues parce qu'ils sont dans le domaine andalou ou font un peu de recherches. Je suis moi-même spécialiste de la nouba cana'a, je fais moi-même de la recherche, ça ne fait pas de moi une musicologue.

 

Vous êtes parmi les rares artistes qui s'occupent de façon pointilleuse de leur communication…

Il est très important de faire la promotion de son travail, de ses produits comme partout dans le monde. Les plus grandes stars internationales passent dans toutes les chaînes de radio, télé, presse écrite… quand il s'agit de parler d'un nouvel album ou d'une tournée. C'est par le tapage médiatique qu'on découvre l'artiste puis qu'on suit sa carrière et son actualité.

 

Revenons un peu à vous, le Ramadan en Algérie, c'est sacré pour vous ?

Le Ramadhan en Algérie, c'est surtout pour être en famille et donner quelques concerts.

 

Mais certains disent qu'une meilleure ambiance règne à Paris où l'on sent réellement l'ambiance du Ramadan…

J'aime aussi le Ramadhan à Paris parce que les gens ne sont pas nerveux et irrités toute la journée avant le ftour comme en Algérie. J'essaie aussi de créer cette ambiance familiale avec des amis intimes que nous invitons ou qui nous invitent.

 

D'autres projets en vue ?

Un concert pour le mois de novembre au centre culturel algérien de Paris, un autre en Belgique en Mars 2009 en attendant la confirmation pour d'autres en attente. Je reprends mes cours de musique dés le mois d'octobre comme chaque année, ça me prend beaucoup de temps. J'ai beaucoup de plaisir à travailler avec les enfants surtout qu'ils sont la relève de demain.

 

Un dernier mot.

La musique andalouse aura un très bel avenir si nous lui redonnons la place de choix qu'elle mérite. Des associations travaillent pour sa sauvegarde, aidons les à le faire mais en insistant que leur rôle premier reste la formation.

 

 

Propos recueillis par Amine Goutali
"NASS BLADI" 1er au 15 octobre 2008