"Un legs de nos ancêtres à préserver"  
     
     
 

C'est par une incommensurable passion que Beihdja Rahal tente la  réhabilitation et la sauvegarde du patrimoine musical andalou à travers ses interprétations d'anciennes noubas. Biologiste de formation, elle s'investit à corps perdu dans la musique ; son credo consiste en sa préservation.

D'un ancrage culturel profond, et animée d'une intense persévérance, l'artiste poursuit sa quête de cette richesse immatérielle avec ferveur. Mélomane convaincue, et musicienne chevronnée maniant avec talent la kouitra et la mandoline, Beihdja a l'intime conviction de transmettre aux générations futures, ce fonds musical qui a fait la grandeur et le prestige de l'Andalousie.

Loin de tout passéisme, sa préoccupation majeure réside dans l'impact de cette musique chez les jeunes. Sa résonance à travers les siècles fait qu'elle reste encore vivace de nos jours et l'on ne peut que s'en enorgueillir et s'en targuer. Avec son regard qui pétille et sa voix douce, elle évoque avec beaucoup d'humilité son fécond parcours artistique. Voyage au cœur même de l'histoire de la musique andalouse.

 

La musique andalouse remonte à bien des siècles ; peut-on dire que Beihdja Rahal est  passéiste.

Ce n'est pas parce que je suis interprète d'une musique ancestrale que je suis passéiste. Je reste très attachée à l'Andalousie arabo-musulmane, cette grande civilisation dont nous avons hérité mais j'avance avec mon temps et ce monde qui nous entoure. Certes, je défends un patrimoine andalou classique mais c'est aux plus jeunes que je souhaite passer ma passion pour cet art.

 

Votre ouvrage La plume, la voix et le plectre paru récemment s'inscrit-il dans le cadre de votre souci de préservation et de sauvegarde de cette musique ?

Cet ouvrage a été fait en étroite collaboration avec Saâdane Benbabaâli, maître de conférences à l'université Paris III. Il est agrégé d'arabe, spécialiste de la littérature arabo-andalouse. Il a soutenu en 1987 un doctorat sur l'art du tawshih à Paris III. Il est l'auteur de nombreux articles sur la littérature arabe et andalouse médiévale.

Depuis quelques années, nous réfléchissons ensemble sur une manière de donner des explications aux non-initiés sur l'histoire de cette musique, la structure de la nouba, les poètes et poétesses, la poésie chantée... le public mélomane est acquis. Nous essayons de répondre aux questions de toute personne voulant découvrir cet art. C'est notre manière de contribuer à la sauvegarde de l'andalou.

Mes albums sont accompagnés d'un livret où l'on peut trouver les poèmes chantés en arabe et leur traduction en français. Dans ce livre, nous voulions que les textes soient accompagnés d'un CD. Nous accédons ainsi à un autre espace, celui des librairies et des bibliothèques. Depuis la sortie de La plume, la voix et le plectre, nous nous sommes rendu compte, avec notre éditeur Barzakh, que l'intérêt porté à ce genre d'ouvrage était très important, d'où l'idée de la préparation d'un deuxième.

 

Vos recherches sur ce fonds musical égaré se poursuivent-elles encore ?

Ma spécialité est l'interprétation de la nouba çanaâ. Il m'arrive de retrouver une ou deux pièce inédites mais pour le reste du temps, j'interprète et j'enregistre un patrimoine qui est là. Malgré mes longues années de formation, depuis 1974, je ne peux prétendre connaître la totalité des morceaux de ce riche patrimoine. Il m'arrive d'apprendre des chansons avant de les enregistrer.

La poésie existe, les mélodies sont là aussi, il ne reste plus grand-chose à retrouver par rapport à ce qu'on appelle le mafqoud (l'inédit). Il n'est pas question d'inventer ou de composer des pièces en prétendant les déterrer. Avant de les remettre à la disposition des mélomanes et des musiciens, il faut les authentifier par des spécialistes.

 

Les diverses noubas que vous avez interprétées vont-elles permettre de mieux appréhender la musique andalouse ?

Je l'espère. Mon travail consiste à donner de la matière aux jeunes associations qui travaillent pour la formation et la préservation de cet héritage. Le large public a besoin, lui aussi, qu'on lui parle de la nouba et de l'intéresser à sa structure, à son histoire… J'essaie de trouver une manière de capter son attention, en multipliant les rencontres en librairies, les conférences de presse… il m'arrive même de communiquer avec le public en concerts comme au courant du mois de février lors de ma tournée en Algérie, tournée organisée par l'Office national de la culture et de la communication ONCI.

C'est un public que je rencontrais pour la première fois, il était important pour moi de lui parler de sa culture algérienne et de sa musique classique. Cela a pris du temps, mais si je suis à mon 18e album, c'est que ça marche. Cela prouve qu'il y a une demande, que le public est avide de ce genre longtemps indisponible chez les disquaires.

 

Avez-vous des projets de CD et des tournées ?

Je viens de sortir un CD Nouba Sika chez Belda Diffusion. Il n'est pas encore disponible chez tous les disquaires mais c'est pour bientôt. Je donnerai certainement d'autres concerts promotionnels au courant de cette année. L'enregistrement d'albums me prend beaucoup de temps puisqu'en plus de mes concerts, je donne des cours de musique à l'école algérienne (ELCO) à Paris.

 

Entretien réalisé par Kheira Attouche
"LE TEMPS" vendredi 20 mars 2009