Entretien avec Beihdja Rahal

     
     
 

«Je veux que mes élèves s'imprègnent d'une civilisation, d'une culture»

Nouba Mezdj Maya-Rasd Eddil, le 27e album de Beihdja Rahal, sera disponible le mardi 29 mai prochain à Alger. En cette occasion, l'artiste andalouse animera un concert de promotion en soirée à la salle El-Mouggar. Une séance de vente-dédicace est également prévue à la fin du spectacle. Beihdja Rahal dévoile les grandes lignes de cet album pour les lecteurs du Soir d'Algérie et parle de sa passion de toujours : la musique andalouse.

 

Le nouvel album est- il dans la continuité de votre travail ?

En février dernier, j'ai enregistré ce 27e album et c'est au courant de ce mois sacré du Ramadhan que je souhaitais le présenter au public algérien qui me suit depuis mes débuts sur scène. Cet enregistrement complète mes recherches et la série de noubas que j'ai entamée il y a plus de 20 ans. Je reste dans la continuité. C'est une nouba mezdj entre deux modes, maya et rasd eddil.

Généralement, les noubas qu'on interprète sont dans un seul mode, du début à la fin, mais il y a des cas particuliers où on peut jumeler deux modes comme je l'ai fait dans la nouba mezdj ghrib-zidane et cette fois-ci dans la nouba maya-rasd eddil.

 

Pour le concert de promotion à Alger, vous serez accompagnée par votre équipe de musiciens habituels ?

Les musiciens qui m'accompagnent sont des professionnels avec qui je travaille depuis longtemps : Nadji Hamma et Amine Belouni au oud, Lhadi Boukoura et Djamel Kebladj à l'alto, Sofiane Bouchafa et Khaled Ghazi aux percussions, Mansour Brahimi à la mandoline, Rafik Sahbi au qanoun, Haroun Chettab au rebab, Halim Guermi au ney et moi-même à la kouitra.

Nous avons enregistré au studio Aminoss qui commence à se spécialiser lui aussi dans ce répertoire. L'album est disponible aux éditions Ostowana. L'album sera disponible le soir du concert et il y aura une vente-dédicace. Ça sera au Mouggar le mardi 29 mai à 22h30 et sera organisé par l'ONCI qui me soutient dans mon travail depuis longtemps. Un 2e concert est prévu le 1er juin à Oran. En accord avec Monsieur le ministre, Azzedine Mihoubi, cet album a été fait en collaboration avec le ministère de la Culture.

 

Vous serez habillée sur scène par Faïza Antri-Bouzar. Pourquoi ce choix ?

Je suis habillée par Faïza Antri-Bouzar comme à chaque fois, car elle aussi travaille sur le costume algérien qui est un patrimoine à préserver. Lorsque je suis à l'étranger, je donne la priorité au karakou algérois pour montrer le costume traditionnel de l'école que je représente. En Algérie, il m'arrive de porter un costume traditionnel d'une autre région, ils sont tellement particuliers.

 

Après un 27e album, le voyage à travers les noubas est-il encore long ?

Même avec ce 27e album, le voyage est encore long. Le patrimoine est tellement riche.

 

Vous faites aussi un travail pédagogique dans le domaine artistique…

Pendant plusieurs années, tout au début de ma carrière, je souhaitais juste m'affirmer en tant qu'interprète de la nouba. Ce n'est plus le cas. J'essaie de m'imposer en tant que modèle pour la jeune génération, mais surtout de transmettre un travail pédagogique qui sera une base d'initiation et de formation pour tous. Je ne me contente plus d'apprendre à chanter ou à jouer d'un instrument à mes élèves. Je veux qu'ils s'imprègnent d'une civilisation, d'une culture.

Je complète les cours par des ateliers particuliers, des journées et des voyages d'études... Du reste, je reste sollicitée un peu partout en France et en Europe pour animer des master class et des conférences sur notre patrimoine çanaa, et c'est un honneur pour moi. Je fais partie du jury du Conservatoire de Paris lors des présentations de thèses de musique traditionnelle.

J'ai eu la chance d'être formée par des maîtres dans ce genre musical, je citerai Zoubir Kakachi qui m'a appris à poser les doigts sur la mandoline et Abderrezak Fakhardji qui m'a donné la chance de chanter en public. Cela dit, mes études universitaires  m'ont aidée, en parallèle, à créer ma propre méthode d'enseignement avec une manière particulière d'intéresser les jeunes tout en respectant la démarche principale de transmission qu'est l'oralité.

 

La musique andalouse algérienne est-elle bien connue et demandée  en Europe et en Espagne en particulier ?

Généralement, je suis seule à l'affiche de mes spectacles, mais il m'est arrivé de donner des concerts avec des orchestres européens. C'était très enrichissant pour les musiciens européens et pour moi-même. Ça nous donne l'occasion de découvrir et de partager d'autres musiques, d'autres cultures.

C'est une rencontre que j'ai d'ailleurs renouvelée il y'a 3 ans avec des Espagnols au palais de l'Alhambra à Grenade. Nous sommes, actuellement, en train de préparer un autre spectacle à Madrid pour le mois de décembre 2018. Partager ma passion avec des artistes étrangers est une invitation à un enrichissement.

Dans mon travail, je veux aussi mettre en évidence, en plus de la belle poésie arabo-andalouse, les poètes et poétesses de l'époque et c'est pour cette raison que j'ai chanté Wallada bint Al-Mustakfi, Oum Al-Ala et Oum Al-Hana, des poétesses, et   leur ai consacré un album Cha'riyate  dans le but de faire découvrir la belle poésie féminine et dire que la femme a toujours été présente. Il faut qu'elle reprenne la place de choix qu'elle a occupée à l'époque de cette grande civilisation arabo-musulmane en Andalousie.

Ma démarche est pédagogique. Saadane Benbabaali, spécialiste du muwashah andalou, s'est investi à 100% avec moi dans cette voie dans le but d'initier le grand public à cette poésie, sa structure et sa beauté. Nous avons même fait un voyage en Andalousie l'année dernière avec les élèves de mon association, Rythmeharmonie, afin de pénétrer ce monde merveilleux d'Al-Andalus. A la demande d'une bonne partie du groupe, nous avons renouvelé l'aventure cette année à la fin du mois d'avril. Saadane est un très bon guide. Il s'est spécialisé dans ce genre de voyages et il en est à son vingtième.

 

Entretien réalisé par Kader Bako
"LE SOIR D'ALGERIE" mercredi 23 mai 2018