Ou la volupté en mode Raml
     
     
 

Cette Andalousie, douce et ravageuse, tant sublimée par les poètes, tant regrettée, ce paradis terrestre, Beihdja Rahal nous a transportés vers ses rivages, ses amours, mercredi dernier, au Théâtre de verdure.

Il est 20h32, les musiciens de Beihdja entrent en scène dans l'auditorium du complexe Lhadi-Flici, précédant l'interprète, vêtue du traditionnel karakou blanc argenté et d'un seroual mdewar jaune et tenant sa fidèle kwitra. Sous les applaudissements nourris d'une salle archicomble qui n'a pu accueillir tous les détenteurs de tickets, admirateurs et mélomanes, l'orchestre a donné le la en mode zidane à l'exécution d'une nouba raml, toute en volupté. Une nouba enregistrée en décembre dernier et dont un CD, au titre éponyme, le 17e de l'œuvre que Beihdja a entamée depuis 1995, vient d'être commercialisé par les éditions musicales Belda Diffusion.

Sous les doigts effilés d'un Djhad Labri, le qanoun nous livre aux douces sensations d'un inqilab zidane Saraqa el ghosnou qad mahboubi… Et une joie des sens qui se poursuit à l'écoute d'un btaïhi raml inédit, Kawani el biaâd… que Beihdja Rahal chante pour la première fois en public, et qu'elle tient à préserver de l'oubli, avant d'interpréter un autre btaihi mafqoud Hal ra'eyt chems el acil… que l'on retrouve dans son dernier enregistrement. Un btaïhi où l'invite aux retrouvailles amoureuses, quête éperdue du poète andalou Ibn Zeydoun de sa chère Wellada Bint El Moustkfi, son amour perdu mais jamais oublié.

Et c'est justement d'une versification de ce poète cordouan, à la poésie fluide, que Beihdja Rahal, accompagnée par les violon alto, qanoun et ney, entretissant leurs gammes, nous déclame ce beau istikhbar zidane Laha Allah yamwan ... Mais le plaisir ne s'arrête pas là, grâce à une acoustique au rendez-vous, la nouba se poursuit dans son derdj raml Hadhi min enawm…, ses nesraf raml Netfaradj maâk fi koulli marra… et Dhouqtou lhawa maâ enawa…, Beihdja Rahal et la chorale des musiciens évoluant du grave à l'aigu, du feutré au moins velouté.

Cette nouba raml, renouvelée dans son interprétation, nous a fait découvrir un khlass raml Alif aliftou elboukaâ…, ou une autre manière de comprendre l'abjadia, l'alphabet arabe, dans son rapport à la nature, aux sentiments, et le plus beau d'entre eux, l'amour de l'autre.

Vers 21h30, le récital, dans sa seconde partie, a été consacré à l'interprétation d'extraits de deux modes andalous orphelins, djarka et araq. Deux modes que Beihdja Rahal avait enregistrés l'année dernière dans un CD intitulé Cha'ryates (Poésiades), hommage aux poétesses andalouses Wellada Bint El Moustkfi, Oum El Hana et Oum El Wafa, mais qu'elle n'avait pu chanter en public.

En guise de prologue à son récital, un court programme hawzi avec la composition en mode zidane du poème immortel de cheikh Ben Omar Tlatha zehwa wa mraha… Une sérénade andalouse où Beihdja Rahal et ses musiciens, le mandoliniste rossignol Mansour Brahim, le oudiste au doigté Mohamed Amine Belouni, et tous les autres instrumentistes qu'on ne pourrait pas ne pas citer, Hamma Nadji au oud, Nacer Rahal et Lhadi Boukoura au violon alto, Sofiane Bouchafa à la derbouka notamment, ont montré l'étendue de leur art.

Organisé sous les auspices des Etablissements Art et Culture de la wilaya d'Alger, le récital de Beihdja Rahal qui a été suivi d'une vente-dédicace de ce dernier album, la Nouba Raml 2, entame une tournée nationale de cette interprète du patrimoine andalou.

Demain dimanche, à 15h00, Beihdja Rahal animera à Constantine une rencontre-débat avec illustrations musicales à la librairie Media Plus. Jeudi, Beihdja sera l'hôte de la cité de l'Illustre cheikh Benkhlouf, à Mostaganem, lors d'un concert de musique nocturne. Les 1er et 2 avril 2008, à 20h30, l'interprète algérienne animera deux concerts à la Maison des cultures du monde à Paris

 

Chérif Bennaceur
"LE SOIR D'ALGERIE" samedi 1er mars 2008