Beihdja Rahal honore la mémoire de Cheikh El Hasnaoui

     
     
 

Gala à Tizi Ouzou et visite du village natal du maître du Chaâbi : Beihdja Rahal honore la mémoire de Cheikh El Hasnaoui

Des centaines de fans de Cheikh El Hasnaoui, disparu il y a près de 18 ans, ont assisté samedi à la maison de la Culture Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou à un hommage au maître de la chanson kabyle. La salle de spectacles de 760 places s'est avérée trop exiguë pour contenir le public qui faisait le pied de grue à l'extérieur une heure avant le coup d'envoi de cette rencontre artistique prévue à 14h.

C'est dire que la légende de la musique populaire enterrée à Saint-Pierre, sur la côte-ouest de l'Ile de la Réunion, est toujours adulée dans son pays qu'il avait quitté en 1937. L'événement rétrospectif est organisé par l'association culturelle Cheikh El Hasnaoui, en collaboration avec la direction locale de la culture.

Au programme des activités, exposition de photos inédites du chanteur, une projection vidéo réalisée par Beihdja Rahal, lors de la visite rendue à Cheikh El Hasnaoui en 2001, un tour de chant de la même artiste, ainsi que l'interprétation de chansons de Cheikh El Hasnaoui par Rezki Ouali.

Parmi les nombreux invités, El Hasnaoui Amechtouh, de son vrai nom Madjid Aït Rahmane, souvent comparé à l'auteur de Maison Blanche, pour avoir excellé dans l'imitation de la voix du vénérable Cheikh. Etaient présents également Arezki, le frère de Cheikh El Hasnaoui, l'écrivaine Djoher Amhis, le fils du chanteur Kheloui Lounès, entre autres.

Dans son allocution, le président de l'association Cheikh El Hasnaoui, Saïd Imarazène, a honoré la mémoire des artistes originaires de la ville de Tizi Ouzou, dont Samy El Djazaïri, Cheikh Amar Dris et Kheloui Lounès. Il a parlé également du pèlerinage effectué, samedi matin, par Beihdja Rahal à Taâzibt Ihesnaouène. «Elle tenait tellement à se rendre au village natal de Cheikh El Hasnaoui. On lui a fait visiter la maison où il a vu le jour, le monument des chouhada, le Saint Djedi Lahviv, Thadarth Thamkrant et Thaazivth. Beihdja Rahal était très émue. Son rêve s'est enfin réalisé, nous a-t-elle confié. Nous tenons à remercier tous ceux qui ont contribué à l'organisation de cet hommage.»

La directrice de la culture de Tizi Ouzou, Nabila Goumeziène, a salué cette initiative, ajoutant que Cheikh El Hasnaoui a consacré toute sa vie à la chanson algérienne et amazighe plus particulièrement. «Si notre culture amazighe a perduré c'est grâce, aussi, à tous ces artistes qui ont joué un rôle prépondérant dans l'affirmation identitaire», soutient-elle.

Lors de sa prise de parole Beihdja Rahal est revenue longuement sur sa rencontre avec Cheikh El Hasnaoui, à l'Ile de la Réunion, le 29 mars 2001. «J'étais invitée à l'occasion d'un concert. Nous avons tout fait pour le rencontrer moi et mes accompagnateurs au point où un journal local avait titré : Beihdja Rahal cherche désespérément Cheikh El Hasnaoui. Au lendemain de mon gala, on nous a fixé un rendez-vous à la mairie de Saint-Pierre. Un ami à Cheikh El Hasnaoui qui a lu l'article a pris soin de contacter tous les hôtels de la ville à la recherche d'un orchestre algérien. Après avoir informé Cheikh El Hasnaoui, il nous a laissé un message au niveau de la réception de l'hôtel où nous étions logés, nous invitant chez lui. J'étais très contente de l'avoir rencontré avec son épouse», témoigne l'ancienne élève de l'orchestre El Fakhardjia.

 

«Rani fibladenass» ou la douleur de l'exil

Dans une vidéo tournée par la concernée, projetée au public, on voit Cheikh El Hasnaoui, âgé de 92 ans, discuter à bâtons rompus avec ses invités, en présence de sa femme et de ses amis. A la demande de l'intervieweuse, il se lève pour aller chercher quelques cassettes et CD qu'il gardait jalousement dans sa chambre, ainsi qu'un roman de Mouloud Mammeri, La Colline oubliée. Malgré son âge avancé et son état de santé, il rêvait de revoir l'Algérie et sa région natale, promettant une «fiesta» dès son retour à Tizi Ouzou, selon ses propos. «Rani febladenass. Mon vœu est de me consacrer à mes amis et mes fans à Paris et en Algérie», lance-t-il dans le film, une année avant sa mort. Beihdja Rahal précise que «ce n'est qu'un document amateur que nous avons décidé de montrer au public pour la mémoire de toute l'Algérie».

La rencontre s'est poursuivie par l'entrée sur scène de Rezki Ouali qui a interprété deux chansons de Cheikh El Hasnaoui, Intass Madyas (Dites-lui de revenir), complaintes d'une mère ou d'une épouse et Matavghidanrouh (Si tu veux on partira).

Beihdja Rahal a clôturé l'après-midi musical par une nouba ghrib, des extraits sika et autres morceaux de son répertoire et du terroir, dont Ya belaredj, chantée par Fadhila Dziria dans les années 1950. Elle était accompagnée d'un orchestre restreint composé de deux musiciens, promettant de revenir dans la capitale du Djurdjura si elle venait à être invitée. En dépit de la demande formulée par ses admirateurs, Beihdja Rahal n'a pas chanté en kabyle, ni repris une quelconque œuvre de Cheikh El Hasnaoui, même celles interprétées en arabe dialectal. «Ma spécialité est l'andalou. Je ne peux pas chanter au même niveau que Cheikh El Hasnaoui», s'est-elle excusée poliment.

L'hôte de Tizi Ouzou s'est dit ravie d'avoir visité le village natal de Hasnaoui et de prendre part à cet hommage. «Mon vœu s'est réalisé. Un grand merci à tous les organisateurs de cette rencontre», conclut-elle, devant une salle archicomble.

Mohammed Ouamrane, enseignant à l'université de Tizi Ouzou et cheville ouvrière de l'association Cheikh El Hasnaoui résume la genèse de cette journée artistique : «Beihdja Rahal, la félicité du répertoire andalou», de passage à Saint-Pierre de la Réunion a tenu à rendre visite au maître de la chanson kabyle et chaâbi Cheikh El Hasnaoui, et ce, moins d'une année avant son décès. Elle nous avait ramené des images bouleversantes où, contrairement aux idées reçues, El Hasnaoui avait émis le vœu de rentrer au pays et organiser une grande fête pour ses amis. Aujourd'hui encore, elle émet le vœu de visiter la région, le village, les gens, les lieux ayant inspiré le Cheikh et partager avec le public des images inédites (40 minutes de projection). Elle nous fera l'honneur de chanter quelques titres de son riche répertoire de chants andalous.

Beihdja Rahal a généreusement souhaité partager l'événement avec un talentueux jeune homme qui interprétera des chansons de cheikh El Hasnaoui, Rezki Ouali, jeune interprète prometteur, premier prix de Alhan Wa Chabab a été choisi pour l'occasion. Nous tenons à rendre, à notre tour, un vibrant hommage à Beihdja Rahal.»

 

Ahcene Tahraoui
"EL WATAN" lundi 6 janvier 2020