Il y a de la nouba dans l'air

     
     
 

Sortie d'un double album de Beihdja Rahal

C'est parce que la préservation du patrimoine musical ancestral est sa préoccupation majeure que la chanteuse arabo-andalouse, Beihdja Rahal, revient sur la scène artistique internationale, avec la sortie aux éditions de l'Institut du Monde arabe et Harmonic Mundi d'un double album intitulé Sur un air de nouba.

Les nombreux amateurs de cette musique ancestrale, porteuse de traditions et d'histoire, seront invités à découvrir un enivrant double album de l'artiste. Une artiste qui, rappelons-le, a effectué entre autres un véritable travail de recherche et de défrichage d'anciens textes en enregistrant les douze modes de la musique andalouse. Ce double album est composé de deux noubas distinctes, en l'occurrence la nouba «Mdjenba» et la nouba «Mezmûm» qui sont à l'honneur, avec en prime un livret d'accompagnement de 27 pages contenant des traductions des poèmes chantés en français, par Saâdane Benbabaâli pour la nouba «Mdjenba», et Farouk Tazerouti pour la nouba «Mezmûm», par Reena Khandpur en anglais.

Disponible dans les bacs des bons disquaires algériens, l'album se targue de contenir également un texte sur l'art de la nouba de Jessie Magana, un portrait de la chanteuse, signé par Rabah Mezaoune ainsi que deux présentations : l'une sur la nouba «Mdjenba» présentée par Beihdja Rahal et une générale par Hadj Omar Bensemmane.

Pour Saadane Benbabaali, spécialiste de la littérature arabo-andalouse et maître de conférence à l'université Paris III, Sorbonne Nouvelle, ce nouvel opus aborde la thématique de la joie d'aimer et «est un miroir du cœur de l'amant qui souffre». La voix émouvante de la chanteuse a porté jusqu'à nous, en plus des pièces connues du répertoire andalou, quelques perles vouées à l'oubli. Elles sont sauvées grâce à la générosité de Yacine Bensemmane qui a livré à Beihdja Rahal ce que son père, passionné de musique, lui a léguées. Elles sont sauvées aussi grâce à l'opiniâtreté d'une chanteuse désireuse d'offrir à ses auditeurs tout ce qu'elle a appris et ce qu'elle continue de recueillir.

Rabah Mezouane et le regretté Tarik Hamouche font deux portraits croisés mais convergents de celle qui est devenue un grand nom de la nouba algérienne. Le lecteur pourra se rendre compte du chemin parcouru par Beihdja Rahal depuis ses premiers cours au Conservatoire d'El-Biar à Alger.

Qualité et richesse

Tous les ingrédients sont ainsi réunis pour que ce double album, par la qualité de l'interprétation et la richesse de son livret, soit une occasion de s'émerveiller et de s'instruire. Dans un argumentaire à la fois élaboré et instructif, Beihdja Rahal revient sur la genèse de la nouba «M'Djenba» d'après une étude originale de feu Ahmed Sefta. Celle-ci dont le nom signifie «partie antérieure» ou «flanc», est celle que l'on joue au moment où le soleil, après son lever, commence à s'élever du côté du sud, en flanc du ciel.

Le texte du poème chanté dans cette nouba, révèle Beihdja, rend compte de la nature éclairée et ce, dès les premiers rayons du soleil. «La nouba Mdjenba dans ses différents morceaux musicaux est celle qui exprime le mieux le réveil du jour. La nature ressuscite et les êtres de bon matin vont ressentir le besoin de vivre et d'utiliser toute leur vitalité pour le travail, la gaieté et le bonheur de goûter aux joies de la vie.

Le poète aussi se réveille, mais devant la clarté du soleil qui lance ses rayons sur la campagne fleurie, il sent revenir en lui le souvenir d'un amour radieux. Le désir de rappeler à celle qui a suscité cet amour les moments délicieux passés ensemble. Selon la spécialiste, cette nouba a perdu sa touchia. Preuve est en, dès l'entame du «M'saddar», «où l'on sent l'ampleur et l'étendue du jour qui se lève. Cette nouba renvoie à un éveil progressif, à une reprise de conscience qui nous rappelle que, quelles que soient les circonstances, l'espoir fait toujours vivre», écrit-t-elle en guise de conclusion.

 

Nacima Chabani
"EL WATAN" jeudi 10 février 2011