La plume, la voix et le plectre

     
     
 

Ouvrage de Saâdane Benbabaâli et de Beihdja Rahal.

Le dernier album en Nawba Raml est entouré d'explications didactiques faites par l'un des meilleurs spécialistes algériens du mawashah. « Le texte de M. Benbâali est un délice de vulgarisation élégante. Les profanes comme moi ont le sentiment de comprendre un univers jusque-là inconnu », écrit Selma Hellal, des éditions Barzakh, dans le petit mot qui accompagne l'ouvrage.

A travers une écriture fluide, Saâdane Benbabâali revient sur « le rapport céleste » qu'a le musicien arabe avec son art. « La musique arabe est impensable sans la voix du chanteur. Par sa voix, l'interprète transmet l'émotion qui l'étreint. Une complicité s'établit alors entre le messager inspiré et l'auditeur raffiné », écrit-il. Cela remonte à la chute de Grenade et le départ forcé des musulmans d'Espagne, chassés par la terrible Inquisition catholique. Les habitants de Al Andalous n'acceptèrent pas leur exclusion et crurent à un retour dans leur patrie.

« C'est la raison pour laquelle les Andalous transmirent à leurs descendants (...) les clés de leurs demeures abandonnés de l'autre côté de la mer. Ils léguèrent aussi à leurs héritiers leur profond chagrin », raconte-t-il. D'où des poèmes parfois tristes alors que les gens d'Al Andalous étaient célèbres pour leur joie de vivre et par le raffinement de leur civilisation. Cette culture avait obtenu la reconnaissance du philosophe allemand Nietzsche, lequel avait dit : « la merveilleuse civilisation maure d'Espagne, au fond plus proche de nous, parlant plus à nos sens et à notre goût que Rome et la Grèce  ». Le « nous » peut être traduit par ce que les responsables du Vieux continent appellent aujourd'hui « les valeurs européennes ».

Les Andalous ont, comme l'a relevé Saâdane Benbabâali, ajouté aux Sept Merveilles, les Palais de l'Alhambra de Grenade et ont inventé les nawbat musicales et le muwashshah, la poésie à strophes. Le muwashshah fut, selon lui, l'expression d'une certaine autonomie par rapport au Machreq. Avec une architecture musicale originale Ziryab, « le merle noir de Baghdad », fut le leader dans ce mouvement qui était la marque d'une société multiculturelle. La nouba remaniée et chantée au Maghreb est indissociable de la poésie strophique connue par l'alternance des rimes et des mètres.

L'auteur a expliqué la différence existant entre la qacida (dont la trace est visible dans le Istikhbar de la Sana'â d'Alger) et le muwashshah. Ibn Khaldoun et Ibn Sanaâ Al Mulk ont recueilli des témoignages précieux sur cet art. Durant sept siècles, la nawba a connu des innovations. « Stable dans ses grandes lignes, la nouba s'est adaptée au génie propre au style de chaque région d'accueil », a-t-il souligné. La nouba a ainsi pris le style des villes maghrébines d'adoption comme Fès ou Alger. Mais, cet art a été marqué par des « oublis et des confusions entre les modes ». « Des mélodies vont totalement disparaître faute d'avoir été interprétées, d'autres vont être assimilées à des San'ât voisines », a relevé Saâdane Benbabâali.

Des 24 noubates du système de Ziryab, il n'en reste que 12. Chaque nouba, qui est une combinaison des traditions arabos-orientales, berbères et ibériques, repose sur un mode appelé tab' et s'organise en un ensemble élaboré. Le chercheur a détaillé le programme de la nouba algérienne qui commence avec la m'shâliya et la tushiya et se termine avec le khlâs et la tushiyat al kamâl. Il a refait lecture d'une anthologie des chansons arabos-andalouses préparée en 1972 par l'Institut national de musique, sous la direction de Djelloul Yellès et d'Al Hafnaoui Amokrane.

Selon lui, c'est le recueil le plus complet puisqu'il contient près de 660 pièces appartenant au répertoire encore chanté. Sofiane Hadjaj, autre responsable des éditions Barzakh, a dressé un portrait de Beihdja Rahal. « Ne lui dites surtout pas qu'elle est une diva ; vous risqueriez de l'énerver (...) Elle se veut sérieuse, professionnelle, et Algéroise aussi. Fidèle pour l'éternité à un genre musical dont elle serait, sinon la gardienne, du moins une digne héritière : la Sanâa  », écrit-il.

Des photos de l'artiste encore gamine accompagnent le portrait. On la voit joyeuse jouant d'une derbouka. Le livre contient également une traduction des poèmes chantés dans l'album comme Yâ badî el housn et Rani nahwâk. La nouba raml 2, est le 17e album qu'a enregistré Beihdja Rahal, depuis la nouba zidane en 1995. Le dernier enregistrement s'est fait dans les studios de Bouabdellah Zerrouki. Saâdane Benbabâali, 60 ans, est maître de conférence à l'Université Paris III. Il prépare une traduction en français des textes andalous chantés au Maghreb. Les deux auteurs feront une vente-dédicace, le 25 décembre 2008 à la Librairie générale (El Biar, Alger). Le livre est cédé au prix de 950 dinars.

 

Faycal Metaoui
"EL WATAN" mardi 23 décembre 2008