Entretien avec Beihdja Rahal, interprete du patrimoine maghrebo-andalou

     
     
 

"Mon but est que la nouba soit écoutée par tout le monde sans exception" Beihdja Rahal, nous dit d'emblée qu'elle n'est ni diva ni cantatrice et qu'elle aspire uniquement à être une simple interprète d'un patrimoine qu'elle respecte et qu'elle restitue avec brio. On la sent passionnée, volubile et volontiers disponible pour parler de son métier, d'un art qu'elle désire servir avec talent et humilité.

Sans phare ni détours, elle a bien voulu aborder dans cet entretien, moult questions avec la conviction d'une artiste qui aspire à perpétuer la tradition et à œuvrer dans les limites de ses possibilités à vulgariser et faire apprécier auprès d'un large public, un genre musical que l'on qualifie à tort d'élitiste ou de citadin.

 

Quel est le premier objectif de Beihdja Rahal ; faire connaitre la nouba ou être la voix féminine de l'andalou ?

Etre la voix féminine de l'andalou non. Ce n'est pas mon but. Etre seule ce n'est pas très intéressant, et je trouve que c'est bien qu'il y ait aussi plusieurs voix féminines. Je préfère être la porte-parole ou la représentante de la nouba. C'est cela le plus important pour moi. Au début, quand j'ai commencé mon parcours, je voulais enregistrer quelques noubas. Par la suite, je voulais faire découvrir cette musique au public européen et étranger qui ne la connaissait pas.

Mais après les six premiers enregistrements je me suis dit, pourquoi ne pas en faire toute une série et continuer dans cette lancée. Alors c'est à partir de là que je me suis dit qu'il faudrait que ma spécialité soit la nouba et c'est pour cela qu'on m'appelle quelques fois « Madame nouba ». Je dois dire qu'en Algérie nous avons des voix féminines dans le chant andalou et le hawzi, mais pour rester juste dans la nouba qui est quand même un domaine assez difficile et qui demande beaucoup de travail, de patience et de rigueur, on n'a pas vraiment beaucoup de spécialistes, alors j'ai préféré me spécialiser dans ce domaine.

 

Ce n'est pas aussi faire découvrir la nouba ?

Bien sûr ! Parce que bien avant, il y a 20 ans de cela, on disait l'andalou, le hawzi, l'âroubi, j'irai même plus loin, à cette époque, en rentrant chez un disquaire on ne trouvait aucun album de nouba. Pourtant on avait de grands chanteurs tels que Dahmane Ben Achour, Mohamed Khaznadji, Abdelkrim Dali, Ahmed Serri. Nous avions des interprètes et de grands chanteurs, mais aucun n'avait enregistré une nouba pour le commerce. Quand je dis pour « le commerce » c'est vraiment mettre ces noubas à la portée du grand public.

Quand je me balade dans les rues d'Alger ou d'ailleurs, j'aime bien avoir le choix entre un CD de musique kabyle, chaoui, sahraoui et pourquoi pas un CD d'une nouba ? On n'avait pas ce choix il n'y a pas si longtemps. Alors que depuis que j'ai commencé à enregistrer - je le dis sans fausse modestie - que le premier CD disponible chez les disquaires en Algérie c'était la nouba « zidane » de Beihdja Rahal. C'est quand même très important. Après cela, il y a eu beaucoup d'interprètes, de chanteurs qui ont fait la même chose. Donc, voila le premier but qui consiste à faire découvrir la nouba et de la mettre plus à la disposition du grand public.

 

Vous avez eu une expérience autre que l'interprétation de la nouba, avec l'orchestre symphonique de la ville de Rouen ainsi qu'avec le guitariste espagnol Juan Martin. Parlez-nous de cette expérience ?

Exactement et c'est une expérience qui m'avait permis de sortir du cadre de la nouba. Je suis toujours interprète de la nouba « sanaâ » de l'école d'Alger. Cette expérience avec Juan Martin remonte à 2001 et 2002. Nous nous sommes rencontrés à Londres grâce à Abdelkrim Sekar, nous avons fait un travail en commun. C'était un mariage de deux musiques traditionnelles entre le flamenco et la mienne. Chacun apporte sa tradition, sans dénaturer la nouba ou la musique espagnole.

J'ai interprété des morceaux d'une nouba sanaâ et Juan Martin a fait des arrangements. Mais je dois préciser que cela reste du domaine de l'expérience seulement. Ce n'est pas un projet en tant que tel. Si l'occasion se présente pour travailler avec un artiste c'est très bien sinon, mon plus grand travail reste la nouba. J'ai enregistré 20 albums et fait beaucoup de concerts en Algérie et à l'étranger, mais je trouve cela insuffisant par rapport à ce qu'on a comme richesse dans ce patrimoine andalou. Mis à part cela, il y a eu d'autres expériences aussi. J'ai travaillé avec un quatuor italien, avec un groupe de femmes, une chorale de Marseille et bien d'autres partenaires. J'ai travaillé avec l'orchestre philarmonique de Rouen qui est composé de 170 musiciens, c'est tout de même énorme.

Sur des extraits d'une nouba, où le chef d'orchestre a fait des arrangements et nous avons un petit peu « symphonisé » cette nouba, mais je ne dirai jamais que c'est cela mon travail. C'est juste une expérience. Eux aussi ont découvert peut être, une musique d'ailleurs. J'ai eu l'occasion d'être invitée par la même ville de Rouen pour donner un concert de musique andalouse avec mon orchestre. Je dirai donc que c'est une manière comme une autre de parler de cette musique, surtout en Europe.

Je préfère quand même faire connaitre ma musique dans son authenticité. Sans essayer de l'arranger par ce qu'elle est tellement belle comme elle est. On n'a pas besoin de l'arranger ou d'intégrer d'autres instruments pour dire qu'elle va plaire ou s'accommoder avec la nouvelle génération. Je trouve qu'elle est bien comme elle est.

 

Qu'avez-vous tiré de cette expérience ?

Je trouve que c'est toujours des échanges très fructueux et intéressants car ce sont des musiciens professionnels et chacune des deux parties présente sa propre musique. On apprend toujours de cette manière. Je ne peux pas dire que je connais le flamenco comme Juan Martin ou la musique classique européenne comme cet orchestre avec lequel j'ai travaillé mais ça reste des échanges où chacun de nous tire profit et apprend de l'autre.

 

Et si c'était à refaire vous le referiez ?

Bien sûr et avec grand plaisir.

 

En tant qu'interprète de la nouba qui est un style musical difficile, que pouvez-vous nous dire sur ce style ?

La nouba est une suite de cinq mouvements, du plus long au plus rapide : le mssader, btayhi, le derdj, le insiraf et le khlass. Quand il n'y a pas cette suite des cinq mouvements (des rythmes) et s'il en manque un, ce n'est plus une nouba. Je peux vous dire que dans tous mes enregistrements il y a toujours ces cinq mouvements. Quelquefois quand on n'est pas dans les insirafate, on peut, au lieu de faire un seul insiraf on peut en faire plusieurs (deux à trois). C'est la même chose pour les khlassate. Mais quand on fait plusieurs khlassate à la fin, cela ne veut pas dire qu'on incite les gens à danser.

 

Pourquoi ?

Parce qu'on est dans la musique savante. Elle reste une musique d'écoute, même dans le khlass, cela reste une poésie et une musique à écouter. On a tendance à penser, surtout en Europe que tout le monde peut se lever pour danser. Je précise que non.

D'ailleurs dans mes concerts les gens savent que la nouba est une musique savante alors on est là pour apprécier et savourer une poésie et une mélodie présentées par un orchestre qui vous donne le meilleur de lui-même. Tout simplement, ce n'est pas de la variété.

 

Est-ce qu'il y a une technique spéciale pour interpréter ce style musical ?

C'est un style qui est difficile par ce qu'on ne le travaille pas avec des techniques. Notre travail reste toujours brut, et c'est cette particularité qui donne cette singularité à notre musique et c'est ce qui plaît et étonne parfois les professionnels et les artistes européens. En Europe on me dit vous avez une chose particulière que nous n'avons pas, je dis toujours que c'est le travail constant.

On n'a pas besoin de vocaliser notre voix. On rentre et on se produit directement sur scène. Mais cela ne veut pas dire que c'est du travail approximatif c'est au contraire, beaucoup de travail. J'entends parfois dire chez certains artistes qu'ils ont une technique vocale. Je peux vous certifier qu'on n'a pas de technique vocale. De plus, il n'y a pas de professionnels qui peuvent le faire ou apprendre aux jeunes cette technique vocale. On n'a pas été formé pour cela.

 

En parlant des noubas, on remarque qu'on en a perdu la moitié, comment et pourquoi selon vous ?

Si on revient à ces 24 noubas et que chacune d'elle correspond à une heure précise de la journée, et que douze noubas furent perdues, je peux vous dire que rien n'a été prouvé. Pour l'instant ce que je dis, c'est que c'est une belle légende. Mais tant que ce n'est pas prouvé et qu'il n'y a aucune trace de ces douze noubas égarées, je préfère qu'on s'intéresse à celles qui existent.

 

Bien que vous soyez l'interprète de la nouba et que vous essayez de rassembler ce patrimoine, le maître de l'andalou Ahmed Serri s'est consacré à cela aussi, qu'en pensez-vous ?

Je dois vous signaler que je ne me compare pas à Sid Ahmed Serri qui est incontestablement le maître de l'école d'Alger. D'ailleurs moi, ce qui m'étonne toujours, c'est quand j'écoute la radio ou je lis des articles dans les journaux où on parle de maître ou de spécialiste, je dois dire que les maîtres se comptent sur les doigts d'une main en Algérie. Il faut préciser que nous avons un maître pour l'école d'Alger c'est Sid Ahmed Serri, mais pour les autres, ce sont des interprètes.

Le maître, c'est un grand mot, c'est toute une carrière, une vie. Parfois, cette vie ne suffit pas vraiment pour avoir ce titre de maître. Un maître c'est aussi avoir le patrimoine complet. En dehors de Sid Ahmed Serri, personne ne peut se prévaloir d'un tel attribut. Je trouve qu'il a fait un bon travail qui servira à toutes les générations qui viendront après nous. Alors si un maître ne fait pas cela, comment on peut lui donner ce titre ? Un maître doit aussi avoir des disciples à qui il transmet son patrimoine. Sur cette question, je ne me comparerais pas à lui.

Tout ce que j'ai fait, c'est de veiller à enregistrer un maximum de noubas. Ce que j'ai fait demeure dérisoire par rapport à ce qui existe dans ce patrimoine. Ce n'est même pas la moitié de ce qui existe. Mais je continue à travailler quand il y a possibilité d'aller voir des associations qui existent à Alger ou à l'intérieur du pays, d'être en contact avec eux, de leur parler, de leur transmettre des choses et de leur dire que je suis toujours là.

 

Vous avez déjà fait cela ?

Oui, j'ai rendu visite aux Rossignols d'Alger qui sont à Cheraga. Je suis allée à Mostaganem où j'ai travaillé avec l'association Ibn Badja, avec la Cordoba d'Alger, les Beaux-arts d'Alger, donc dès que l'occasion se présente, je leur rends visite pour parler aux jeunes, essayer de leur dire que c'est eux la relève, leur transmettre le dépôt de nos maîtres.

 

On dit que ce style de musique est élitiste, qu'en pensez-vous ?

Non pas du tout. C'est vrai que le fait de dire que c'est une musique savante, les gens pensent que c'est une musique élitiste qui a un public restreint. Mon but c'est que le public soit de plus en plus nombreux, que la nouba soit écoutée par tout le monde sans exception. Il ne faut pas admettre des jugements qui tendent à ancrer dans les esprits une telle sentence, que c'est une musique de citadin, de grande ville.

C'est une musique nationale, c'est un patrimoine commun qui appartient à tous les Algériens. Je ne vois pas pourquoi on ne crée pas des associations dans le Sud de l'Algérie, à l'Est, à l'Ouest ou même dans des petites villes pour diffuser cette musique chez les enfants, les jeunes pour leur enseigner le patrimoine algérien. Il faut bien qu'on oublie cette histoire de musique élitiste ou bourgeoise. Je suis personnellement issue d'un milieu modeste. Chaque Algérien doit et a le droit d'accéder à cette musique.

 

Si on parle de votre expérience dans le domaine de l'écriture. Vous êtes à votre deuxième ouvrage, parlez-nous de cela ?

Quand j'ai commencé à enregistrer, au départ, il y a toujours eu un livret pour accompagner le CD pour faire découvrir cette musique surtout en Europe. Après le cinquième album, je me suis dit pourquoi ne pas mettre la traduction en français de la poésie chantée. Je me suis alors approchée de Saâdane Benbabaali qui est professeur de littérature arabe à Paris III et spécialiste du mouwachah andalou, j'ai fait la proposition de traduire les poèmes que je chante dans mes albums. Il a tout de suite dit oui.

C'est de là et à partir du cinquième album, il a commencé à mettre la traduction des poèmes chantés en français. Cela a beaucoup plu. Au départ c'était destiné au public français pour leur dire voilà ce qu'on chante et même pour la communauté algérienne qui vit là-bas. C'est un travail d'explication pour essayer de rentrer vraiment dans la peau du poète et de comprendre correctement chaque poème chanté.

Par la suite il y a eu l'idée du premier livre « La plume, la voix et le plectre » édité aux éditions Barzakh. Il était accompagné d'un CD. C'était pour donner plus d'occasion au grand public de découvrir profondément l'andalou et le monde de la nouba. Il a bien marché. En une année il y a eu rupture de stock. On a pensé à un deuxième « la joie des âmes dans la splendeur des paradis andalous » édité par l'ANEP, il commence à bien marcher. On l'avait présenté à la foire du livre. Les deux livres étaient très bien acceptés.

 

Quelle est la différence entre le premier ouvrage et le deuxième ?

Le premier était accompagné d'un CD seulement. Mais le second était accompagné d'un CD et d'un DVD d'un concert qui a été donné à l'Institut du monde arabe à Paris dont le thème coïncide avec celui du livre. Dans ce deuxième ouvrage il y a plus de 70 poèmes (bilingues) traduits de l'arabe au français. Il fait le triple du premier.

 

Pourquoi ?

Parce qu'on a compris que les gens attendaient une deuxième sortie. On pense déjà à un troisième. On s'est dit comme on a commencé avec les albums on le fait aussi pour le livre. A vrai dire je m'occupe de la partie musicale. Je ne peux pas dire que je fais de la littérature. Cette dernière reste du domaine de Saâdane Benbabaali. On a fait ce travail en collaboration pour faire quelque chose de bien et essayer de rentrer dans un autre milieu, celui de la littérature, et pour bien vulgariser notre tâche, nous avons commencé à donner des conférences débats et des rencontres littéraires.

 

Quelle a été la réaction du public ?

Très bien. Il y a des gens qui viennent pour assister à ces conférences et pour vous parler de la musique andalouse. Je pense que c'est un bon acquis. Modestement je crois que ce qui a encore attiré plus le public, c'est le fait de pénétrer ce milieu poétique. Quand je reçois des e-mails de jeunes qui me disent : « On n'écoutait que le chaâbi, ou les anciennes chansons françaises, kabyles mais maintenant nous apprécions la nouba de Beihdja Rahal », c'est vraiment extraordinaire. C'est un grand acquis pour moi parce que cela me permet de continuer à dire que mon message est passé puisque des jeunes s'intéressent davantage à cette musique, je trouve que c'est parfait.

 

Pourquoi ?

Parce que c'est une musique qui n'aime pas la médiocrité, qu'il ne faut pas déformer. Si elle est mal interprétée c'est automatiquement le rejet. Elle ne plaît pas à l'auditoire.

 

Vous résidez en France depuis 1992, quelles sont les raisons ?

C'est arrivé comme cela. Ce n'était pas prémédité. J'ai quand même appris à travailler en professionnel. Je le dis en toute franchise, je pense que si j'étais restée en Algérie je n'aurais jamais entamé une carrière artistique sur de bonnes bases.

 

Expliquez-nous cela ?

Tant que le statut de l'artiste n'existe pas, on ne peut pas vivre de sa musique décemment, car nos tours de chant et nos concerts ne suffisent pas. Donc faire carrière, c'est faire au moins une cinquantaine de concerts par an pour pouvoir vivre de son art. Je précise que je parle de concerts et non pas de soirées. Parce que la carrière de l'artiste c'est la scène.

 

Vous donnez des cours de musique et de chant andalou à Paris, parlez-nous de cela ?

Je donne des cours de musique pour des enfants âgés de plus de douze ans. Actuellement nous avons créé une association qui s'appelle « Rythmeharmonie » avec quelques membres, je donne des cours de musique et de chant pour des adultes, même que pour les adultes cela reste un loisir alors que pour les enfants, il s'agit de la relève. La priorité, c'est les enfants.

 

Quand vous animez des concerts à Paris, quelle est la perception de l'auditoire étranger ?

Quand je donne des concerts en Allemagne ou à Lille ou dans n'importe quel autre endroit d'Europe on me dit : « Est-ce qu'il y a une communauté maghrébine dans ces régions ? » Je réponds toujours que moi je ne vais pas à la recherche de la communauté algérienne seulement. Pour moi cette dernière est à la limite acquise.

A l'étranger je veux faire découvrir ma musique à un public qui ne la connaît pas. Si je participe à titre d'exemple à un concert en Espagne on mettra à la fiche, concert de Beihdja Rahal entre parenthèse Algérie, je deviens la représentante d'une musique traditionnelle, ou classique algérienne. Je ne suis pas une artiste qui donne un concert. Je vise toujours à faire découvrir cette musique au public étranger et dire aussi, voilà nous aussi on a une musique classique chez nous.

 

Quelle est la différence avec le public algérien ?

Je dis el hamdoulillah. Parce qu'à chaque fois que je donne un concert à l'étranger, cela a été toujours très bien accueilli. D'ailleurs la première partie du concert est consacrée à une nouba dans différents modes. La deuxième partie, que j'appelle souvent « partie bonus » pour le public, c'est du hawzi et âroubi, en Europe ce qui est particulier à dire c'est qu'à la fin du concert quand je discute avec le public européen on me dit qu'on a une préférence pour la première partie. C'est parce qu'elle reste une musique plus élaborée du point de vue poétique et mélodique aussi.

 

Vous faites toujours vos enregistrements à Paris ? Pourquoi pas en Algérie ?

Les trois premiers enregistrements ont été faits en France, mais à partir du quatrième album j'ai commencé à enregistrer en Algérie. Ce n'est pas une question de finances parce que cela revient pratiquement au même. Tout simplement parce que l'orchestre que j'ai en Algérie est plus riche. J'ai plus d'informations et j'utilise des instruments comme le Kanoun, le Nay inexistants en France.

Je précise que je ne trouve pas un kanounji, le Fhel de notre école Sanaâ. Il y a des Tunisiens et des Marocains mais ce n'est pas la même chose. De plus le propriétaire du studio où j'enregistre depuis 2001 est aussi un spécialiste du domaine. C'est un homme qui connaît bien la musique andalouse. Les enregistrements que j'ai faits en Algérie plaisent beaucoup en Europe. Je dois vous préciser que la priorité reste au public algérien. Dès que l'album sort, j'organise un concert de promotion en collaboration avec l'ONCI. Puis je ressors le même album en Europe. Je récolte toujours le bon accueil des deux côtés.

 

Vous avez enregistré près de 20 albums, cela paraît énorme, qu'est-ce qui vous pousse à vous investir autant dans l'enregistrement du patrimoine ?

Tout d'abord l'enregistrement de ce patrimoine national nécessite un travail colossal. On n'a pas le droit à l'erreur ou de faire n'importe quoi. J'essaie de transmettre ce patrimoine tel quel, sans rien changer. C'est une grande responsabilité. Ce n'est pas un travail facile, parce qu'il faut d'abord chercher les textes et bien les travailler sans erreur pour ne pas toucher au sens. Il faut authentifier les paroles et la musique.

On commence à travailler la nouba en solo pendant plusieurs mois. Puis je rentre à Alger pour la parfaire avec les musiciens puis on entame la partie enregistrement. Dès que l'enregistrement est prêt, on le présente sur scène. Il n'y a pas beaucoup d'interprètes de noubas car c'est un domaine qui demande beaucoup de travail, de concentration et du temps. Il y a des personnes qui disent qu'il n'y a pas de reconnaissance pour les efforts qu'on fait. Moi je dis que la plus grande reconnaissance vient du public.

 

Parlez-nous de votre dernier album sorti en février 2011 ?

C'est la nouba dil, parce qu'il y a eu déjà une première nouba dil, mais les morceaux de musique et de poésie sont complètement différents. Il y a toujours cette suite des cinq mouvements. Elle a été éditée chez Belda. Il y a toujours la traduction faite par Saâdane Benbabaali, par exemple le msadar se chante généralement en deux vers, moi, j'ai interprété quatre vers.

La totalité du poème même si c'est trop long. Je ne le fais pas sur scène c'est juste dans les enregistrements parce que c'est pour les archives. Alors il est préférable d'interpréter le morceau dans sa totalité. Il y a des morceaux qui ont été rarement interprétés. C'est toujours une manière de remettre ces pièces à la portée du grand public et surtout des gens du domaine.

 

Est-ce qu'on peut créer une nouvelle nouba, ou du moins élaborer une composition de type andalou ?

Si je parle de mon travail je vous certifie que je n'essaye en aucun cas de créer ou de composer. Je suis dans un patrimoine immatériel qu'il faut conserver. Je suis interprète de ce qui est ancien. Dès qu'on me dit d'essayer d'arranger je réponds toujours non. J'ai choisi un seul travail, c'est l'interprétation seulement.

Il peut y avoir d'autres personnes qui disent avoir composé une treizième ou 25e nouba. Ils ont le droit de le faire, mais attention, le plus important est de dire que cela ne fait pas partie du patrimoine qui existe déjà. Ce n'est pas une nouba. C'est une inspiration d'une nouba. Ce patrimoine qui existe, il faut le sauvegarder. On l'enregistre et on le met dans un coffret et on le laisse à part, et dans l'autre part on met les nouvelles créations de musique plus modernes.

 

Comment se fait votre travail de vulgarisation pour chaque album ?

Pour l'instant je suis manager de moi-même. Bien sûr l'idéal c'est d'avoir un agent qui fait ce travail. Le plus normal est que l'artiste s'occupe seulement de la scène, pour tout ce qui est partie musicale. Il n'a pas à encombrer son cerveau avec la gestion. Si j'avais un agent qui fait cela, ça me libèrerait l'esprit. Je ne vous cache pas que parfois quand je suis en Algérie, avant de monter sur scène je suis épuisée déjà. Parce que je pense à mettre tout en place. Si j'avais un agent il me mettrait un planning, une feuille de route.

 

Pourquoi vous ne l'avez pas ?

En premier lieu, je n'ai jamais eu de proposition. En second lieu je ne connais pas vraiment des personnes assez professionnelles qui se chargent de cela. Je préfère avoir un agent algérien car il connaît mieux le travail en Algérie. Je n'aimerais pas que mon agent, s'il est Français, traite avec l'Europe comme en l'Algérie. Je préfère qu'il traite avec un esprit algérien. Mon souhait c'est qu'on nous donne assez de considération. Je n'aime pas qu'en me traite comme une étrangère dès que je suis en Algérie. Je suis de souche algérienne.

 

Parlez-nous de l'orchestre qui vous accompagne depuis longtemps et qui a la part du lion dans votre réussite ?

Oui, cela fait plusieurs années que je travaille avec cet orchestre. C'est pour cette raison qu'il y a autant de complicité. Si j'ai fait appel à chacun de ces musiciens c'est qu'ils ont du talent, ils sont compétents, professionnels. Chacun a sa part de génie. J'exige la perfection. Je tiens toujours à leur incruster l'idée qu'il n'y a pas de vedette. Nous sommes un tout, il faut qu'on accomplisse un travail de groupe.

Le plus important, c'est que le public sent qu'il y a un travail continuel entre nous, avant de lui présenter les concerts. Je ne vous cache pas qu'il me suffit juste de regarder l'un d'entre eux pour qu'il comprenne ce que je veux et ce que je demande. Dans d'autres pays on m'a souvent dit de ne pas ramener mon orchestre parce qu'ils ont déjà des musiciens sur place, je leur dis que je garde toujours mes musiciens qui connaissent bien ce style, la nouba.

 

Votre mari figure aussi parmi les membres de l'orchestre cela vous apporte-t-il un plus ?

Oui, mais ce n'est pas courant chez tout le monde. Je ne le présente jamais au grand public, c'est toujours Beihdja Rahal et son orchestre. J'avoue qu'il m'aide beaucoup, on travaille ensemble et j'ai besoin aussi d'un autre soutien, surtout quand c'est la partie chantée. Il s'occupe de la partie musicale et moi je me concentre sur le chant.

 

Que pouvez-vous dire aux jeunes talents qui veulent s'investir dans ce domaine ?

Je leur conseille d'aller étape par étape sans se précipiter, car la musique andalouse classique demande des années de travail et de patience. Il ne faut pas se dire qu'après 5, 10 ans qu'on est arrivé et qu'on peut entamer une carrière professionnelle. Il faut se donner du temps pour atteindre le but. Pour l'instant il y a une génération qui représente cette musique alors leur rôle c'est de persévérer pour assurer le relais.

 

Quels sont vos projets, vous êtes sur un nouveau livre ou un nouvel album ?

Je prépare un troisième livre ainsi qu'un nouvel enregistrement, le 21e album pour le mois de décembre et qui sortira au mois de février ou mars 2012. Pour les concerts, ce qui est confirmé actuellement, c'est que j'ai un concert le 23 mars à l'Institut du monde arabe à Paris.

 

Entretien recueilli par Kafia Aït Allouache
"EL MOUDJAHID" mercredi 7 septembre 2011

 

Biographie :

Née en juillet 1962 à Alger. Conservatoire d'Alger. Professeurs : Zoubir Karkachi, Mohamed Khaznadji et Abderezak Fakhardji (1974-1981). Baccalauréat en Sciences (1982). Musicienne et interprète au sein de l'Association Artistique et Culturelle El-Fakhardjia (1982-1985). Membre fondateur de l'Association Musicale Es-Sendoussia et professeur de musique (1986-1992). Premier Prix au Printemps Musical d'Alger avec l'Association Musicale Es-Sendoussia (1987 et 1988). Licence en Biologie à l'Université d'Alger (1988). Professeur de sciences naturelles à Alger (1989-1992). Création de l'orchestre "El Beihdja" à Paris (1993). Figure parmi "Les 100 personnalités qui font bouger l'Algérie" (2002, revue L'Express). Prix "Mahfoud Boucebci" pour travaux de recherche et de sauvegarde du patrimoine musical andalou (2006). Figure parmi "Les 50 personnalités qui font l'Algérie" (2008, revue Jeune Afrique). Elle a fait 18 enregistrements de noubas.

 

Breves questions et concises reponses :

Vous êtes biologiste de formation, vous n'étiez jamais tentée d'exercer ce métier ? Non. Dès que j'ai décidé d'entamer la carrière musicale en 1992 en m'installant en France, j'ai choisi définitivement la musique. Je ne pouvais pas faire les deux. Alors j'ai opté pour la musique qui me passionne le plus.

Si vous n'étiez pas chanteuse, qu'est-ce que vous auriez pu faire ? Biologiste.

Si vous avez le choix de refaire votre vie referiez-vous le même parcours ? Oui, sans doute

Votre plat préféré ? Tout ce qui est bon. J'exige le goût.

Votre chanteur préféré ? Il y en a plusieurs.

Vos loisirs ? La musique, le théâtre, le cinéma, les sorties avec les amis(es) et quelquefois le sport.

Votre auteur préféré ? J'aime tout ce qui est bien écrit.

Votre couleur préférée ? Le marron, jaune et crème.

Votre quartier préféré ? El Biar.

Votre signe astrologique ? Cancer.

L'amitié ? C'est très important et c'est rare.

Le mensonge ? C'est malhonnête.

L'amour ? C'est le sel de la vie.

La vie ? C'est l'amour.

La maman ? C'est le tout.

Les voyages ? Ça forme la jeunesse.

Votre dernier mot ? Vive la nouba !